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Invasion de l'Ukraine : pertes ou profits pour la Russie ?

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31 janvier, 2022
Note
Bruno Husquinet


Le renforcement des troupes de l’OTAN à la frontière russe, nous dit-on, est la conséquence d’une menace d’invasion "réelle" de la Russie contre l’Ukraine. Cette menace "réelle" est régulièrement brandie depuis 2014. A l’époque déjà, elle fut démentie par le général Gomart, directeur des services de renseignement militaire lors d’une audition à l’assemblée nationale. Aujourd’hui, cette invasion est encore et toujours sujette à des divisions au sein des gouvernements européens, comme dernièrement en Croatie et en Allemagne où le chef de la marine a été forcé de démissionner suite à ses propos selon lesquels il était "absurde" de croire que la Russie veuille s'approprier des territoires ukrainiens.

Les États-Unis, l’Angleterre, la France, l’Italie et d’autres pays menacent à nouveau la Russie de conséquences graves si elle attaquait l’Ukraine. Les analyses émanant de ces pays semblent concorder, bien qu’elles n’étayent pas les motifs d’une potentielle invasion. Il est donc légitime de questionner la pertinence de ces analyses à la lueur de l’agression annoncée depuis huit ans, qui ne s’est pourtant pas matérialisée. Par ailleurs, ces analyses communes méritent un regard critique au vu des erreurs commises par ces mêmes puissances au Moyen-Orient ou Afrique lors des dernières décennies. Notons également les positions nuancées de la Turquie atlantiste et de la Chine, membre permanent du conseil sécurité. Ces puissances joueraient un rôle fondamental dans le scénario d’un conflit ouvert.

Certes, des cercles extrémistes russes ont jadis suggéré d’envoyer des troupes dans le Donbass et jusqu'en Transnistrie pour étendre le territoire le long du littoral de la mer Noire. Mais peut-on élever les idées d’une minorité radicale au rang d’intentions, généralement bien gardées, du gouvernement russe ? Cette extrapolation fallacieuse émanant d’une frange marginale de la société justifie-t-elle la prise de sanctions économiques et le déploiement militaire à l’encontre de la Russie ? N’est-ce pas là un cas d’école de biais de confirmation pour ceux qui cherchent un casus belli ?

La question du Donbass n’est pas comparable à la Crimée où les enjeux économiques et sécuritaires de la péninsule, vitaux pour la Russie, ont redessiné les frontières. Occupation, annexion ou intégration de la Crimée, le débat continue.

Les paramètres dans le calcul de risques pour le Donbass diffèrent. D’une part, les sanctions et la rupture de liens économiques frapperaient durement l’économie russe, notamment les revenus liés à l’exportation de gaz vers l’Europe. Ensuite, un conflit affaiblirait Moscou sur la scène internationale et nuirait à ses relations bilatérales. Enfin, Moscou devrait investir beaucoup d’argent pour rénover des infrastructures obsolètes et détruites par le conflit. Aujourd’hui, la Russie n’est pas en mesure de créer des emplois pour des millions de nouveaux citoyens issus du Donbass, en plus du million déjà accueilli en 2014-2015. Objectivement, dans cette région, il n’y a aucun intérêt stratégique ni aucune ressource nécessaire à la Russie, pas même le charbon.

Moscou est aussi consciente qu’un conflit entraînerait la mort de milliers de personnes et le déplacement de dizaines de milliers d’autres. Cet élément devrait aussi être pris en compte par les gouvernements ukrainien et occidentaux qui envisagent un conflit. A terme, il y a fort à parier que le gouvernement russe ralliera sa population pour défendre la mère patrie, mais aujourd’hui le peuple russe ne soutient pas une attaque contre l’Ukraine ou l’Occident.

Certains analystes ont avancé l’argument du conflit gelé. Selon celui-ci, la Russie entraverait l’accession à l’OTAN de certains États en maintenant des situations de conflits sur leur territoire. Pour accéder à l’OTAN, il existe en effet un certain nombre de critères dont l’existence d’un système politique démocratique fonctionnel basé sur une économie de marché, la volonté de résoudre les conflits de façon pacifique, le traitement juste des minorités et la capacité de contribuer à l’OTAN.

Cet argument est faible pour plusieurs raisons. D’une part, l’OTAN a d’autres instruments pour soutenir les États non-membres, comme le témoigne la situation en Ukraine. D’autre part, le seul avantage d’un conflit gelé ne compense nullement les conséquences potentielles négatives au niveau diplomatique, politique et économique pour la Russie. Enfin, la Kremlin ne porte pas seule la responsabilité desdits conflits. Il existe des plans de résolution dans le Donbass qui envisagent des solutions pacifiques. Pourquoi ces pistes ne sont-elles pas plus explorées ?

Aucune analyse occidentale n’a donc mis en avant des raisons solides et objectives qui soutiendraient la thèse d’une menace réelle d’invasion ou d’annexion du Donbass ukrainien. Or, tout semble plutôt pointer vers une argumentation démontrant que la Russie n’a aucun intérêt à attaquer l’Ukraine et à s’attirer l’ire internationale. L’unique justification de sa présence militaire à la frontière ukrainienne repose sur un raisonnement circulaire selon lequel les actions de l’un sont la réciproque aux actes de l’autre. Pour Moscou, il s’agit d’une réponse à l’avancée de l’OTAN et pour l’OTAN, il s’agit d’une riposte à la menace russe.

Dans son habit actuel, l’argumentaire occidental ne convainc pas. En l’état des choses, les preuves à charge ne peuvent pas constituer un casus belli. En réalité, les mises en gardes occidentales ainsi dévêtues de leurs légers oripeaux dévoilent une question profonde : celle de la charge de l’accusation et non de la preuve.

La géopolitique des tubes, ancrée dans la realpolitik et les grands profits, nous informent certainement plus sur la situation ukrainienne que les discours sur le respect de l’intégrité territoriale et du droit des peuples à rejoindre le traité atlantique de sécurité collective. L’Ukraine est la porte énergétique entre l’Europe et le gaz russe. Celui qui détient la clef de cette porte, dicte les conditions aux parties situées de part et d’autre. Ce n’est pas un hasard si les tensions avec la Russie reprennent sous l’administration Biden. Alors vice-président sous la présidence Obama, Joe Biden a intensivement œuvré pour avancer les intérêts américains dans le secteur énergétique de production et de distribution en Ukraine, notamment au travers de son fils Hunter et de la Burisma.

La sécurité énergétique européenne passe par une diversification des sources d’approvisionnement en énergies fossiles et un investissement dans les énergies renouvelables. En aucun cas, la sécurité énergétique de l’Europe ne passe par l’entrave de canaux d’approvisionnement (North Stream), le remplacement du gaz russe par celui américain et encore moins par un conflit en Europe.

Bruno Husquinet 

 

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russie, ukraine, europe, etats-unis