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Congo Brazzaville ou l'histoire d'une tragédie annoncée

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04 avril, 2016
Note
Leslie Varenne


Se rendre en République du Congo en mars 2016, c'est comme aller en Côte d'Ivoire en novembre 2010. Nul besoin d'avoir été assise sur les bancs de Saint-Cyr ou de lire l'avenir dans le marc de café pour savoir que cette élection présidentielle se déroulera mal. Tous les ingrédients sont réunis pour une déflagration. Denis Sassou Nguesso ne peut pas remporter la victoire, il est honni en son pays et contrairement aux précédents scrutins de 2002 et 2009, où il n'y avait pas d'opposition crédible, cette fois des candidats de poids se sont organisés et l'affrontent. Chacun sait que ce chef d'Etat, ce chef de clan, au pouvoir depuis 32 ans, ne sortira pas par la grande porte de la démocratie. Il ne s'inclinera pas devant la défaite. Une vieille dame prédit : « s'il passe au premier tour, il y aura la guerre. »  Nuitamment, le Chef s'est autoproclamé gagnant au premier tour, le fameux coup KO, avec plus de 60% des suffrages… 

Meeting d'un opposant dans le quartier de Bacongo le 17 mars 2016

A Brazzaville, plus la date fatidique du 20 mars 2016 se rapproche, plus l'air s'électrise. A la veille du jour J, les Congolais prennent leurs dispositions car le lendemain dimanche lors du vote, toute circulation sera interdite, sauf pour les privilégiés bénéficiaires d'un sauf-conduit, les téléphones et Internet seront coupés : « Nous on sait, on le connait, il faut se préparer, ça peut durer... » Effectivement, ils savent. S'il est possible de circuler à nouveau dès le lundi, le Congo reste coupé du monde jusqu'au jeudi matin. Télé Congo, la télévision nationale étant un instrument de propagande rustique, Radio France Internationale (RFI) prend des allures de grand messe, le transistor reste toujours à portée de main et chacun attend religieusement les flashs infos. Après 56 ans d'indépendance, la seule source d'information pour savoir ce qu'il se passe, chez soi, dans son pays, est française.

La paix n'aura pas lieu…

Malgré cette impossibilité de communiquer, les informations circulent vite. Dès le lundi la nouvelle se propage comme une trainée de poudre. Le candidat-Président arrive en quatrième position derrière trois opposants : le général Jean-Marie Michel Mokoko, Parfait Kolélas et Okombi Salissa. En Afrique, nul besoin d'attendre les résultats des Commissions électorales pour connaître la vérité des urnes, elle se sent dans l'atmosphère de la ville qui vit au ralenti, elle se lit sur le visage des partisans. La bière ne coule pas à flot chez les pro-Sassou et tout le monde fait grise mine. Les uns parce qu'ils ont perdu, les autres parce qu'ils savent que leur victoire ne sera pas acceptée. Tous, parce qu'ils craignent le retour de la guerre.
Les rumeurs commencent à courir. Denis Sassou Nguesso s'apprêterait à se déclarer vainqueur au premier tour avec 50,15% des suffrages. Mais, surprise, la Commission Nationale Electorale Indépendante (CNEI), pourtant aux ordres du pouvoir, refuserait d'avaliser la forfaiture. Certains commencent à rêver d'un happy end, d'un atterrissage en douceur… « S'il acceptait sa défaite, il serait fêté dans tout le Congo, comme un héros » philosophe Charles Zaccharie Bowao, le coordonnateur de l'opposition puis il poursuit réaliste : « mais il ne le fera pas ».

Comme toujours dans ces situations de crise, l'histoire badine avec les nerfs et le moral joue au yoyo. L'estocade se produit dans la nuit du mercredi au jeudi. Les journalistes, dont ceux de RFI et de l'AFP qui logent à l'hôtel Saphir, sont convoqués au milieu de la nuit pour la communication officielle des résultats, retransmise en direct par Télé Congo. Vers 3 heures du matin, à l'heure où tout le monde dort, le ministre de l'intérieur Zéphyrin Mboulou annonce la victoire, ensuite tel un zombie le candidat-Président s'adonne à une conférence de presse face à des journalistes ensommeillés. Les images de cette conférence seront largement rediffusées mais pas la litanie des résultats. Ceux-ci restent secrètement gardés, ils n'ont jamais été publiés ni au Journal Officiel, ni dans la presse, ni transmis aux autres candidats. C'est la victoire de la démocratie façon Afrique centrale !

La traque

Dès lors, le harcèlement des opposants qui avait commencé dès le début de la campagne prend une tournure de chasse à l'homme. Principale cible du pouvoir, le Général Mokoko ainsi que ses collaborateurs. Pas un jour ne se passe sans qu'un appel, un sms ne prévienne de l'arrestation d'un opposant. Le général reste à Brazzaville mais déjoue les chasseurs.
Le 23 mars, veille de l'annonce des résultats, il a même osé donner une conférence de presse chez lui. A la sortie, les journalistes du Monde et de l'AFP se font molester et confisquer leur matériel. Le ministre de l'Intérieur Zéphirin Mboulou leur présentera ses excuses et leur rendra leur outil de travail mais pas les images de la conférence de presse… Deux jours plus tard, les cinq opposants ont décidé de se réunir dans le QG d'un des candidats et ont convoqué la presse. A l'arrivée au lieu dit, armée, police, cagoulées et en armes quadrillent l'endroit, obligeant tout le monde à opérer un repli tactique. Une centaine de personnes qui a eu la malchance de passer par là est arrêtée. Le mot dictature est souvent utilisé à tort et à travers, galvaudé, mais ici au Congo, soudainement ce mot prend corps, fait sens, se respire dans l'air ; s'entend au ton feutré qu'utilise la population lorsqu'elle parle politique ; se voit avec les pseudo barbouzes qui filent méthodiquement et sans finesse les véhicules des opposants… 

Le retour des Cobras

Le même jour, Télé Congo offre à ses spectateurs un reportage sinistre. Dans ce pays encore marqué au fer rouge par la guerre de 1997, la télévision nationale officialise un commando paramilitaire gouvernemental. Le chef qui s'exprime dans son uniforme noir entouré de ses hommes est Hidevert Mouagni, un actuel député de la nation et un ex-chef des Cobras, groupe commando pro Sassou Nguesso qui affrontait les Ninjas proche du Président Lissouba en 1997. Il annonce, martial, qu'il est un Nouveau Patriote qui défendra la Nouvelle République du Président en place.
Evidemment, cette annonce sert à entretenir une stratégie de la tension et une psychose dans le pays, mais pas seulement. Dans les casernes, le général Mokoko a fait le plein des voix. Le Groupement para-commando (GPC), un corps d'élite, sur lequel le Président croyait compter, a voté a 95% pour le général. N'ayant plus confiance dans son armée Sassou Nguesso a déménagé, dans l'urgence, les stocks d'armes du GPC et a réactivé les milices Cobras. Selon des informations militaires, des armes ont été distribuées aux miliciens. A Pointe Noire, fief de l'opposition, deux ex-Cobras Romuald Moubenda et Mouchapata sèment la terreur dans les quartiers. Les habitants se préviennent de leur arrivée grâce aux réseaux sociaux. A Brazzaville sévit Hidevert Mouagni.

Et ce qui devait arriver, arriva…

Le 4 avril au matin, la nouvelle tombe. Des tirs ont été entendus dans le sud de Brazzaville, autre fief d'opposants. La tragédie annoncée commence… Dans un premier temps, RFI annonce que cette attaque est l'œuvre des Ninjas proches de l'opposition. Contacté, un jeune journaliste congolais habitant de Bacongo confirme. Un groupe de 500 personnes munies de sacs à dos est entré dans les quartiers Sud et a brûlé un commissariat dans la commune de Makélékélé. La jeunesse et une grande partie de la population ne comprenait pas la stratégie de sagesse des candidats de l'opposition qui ne souhaitaient pas appeler la population à prendre la rue et ainsi risquer de nouvelles victimes. Elle la critiquait pour ses réactions qu'elle jugeait trop légalistes et trop molles. L'arrivée du pasteur Ntumi, ex-chef des Ninjas, dans Bacongo serait donc une bonne nouvelle et le signe d'une résistance armée qui commence. Sauf qu'après vérification le feu n'a pas été propagé par les ex-Ninjas mais par les ex-Cobras d'Hidevert Mouagni, créant ainsi une situation d'une grande confusion. Evidemment, il ne serait pas étonnant que les ex-Ninjas ripostent. Qui éteindra l'incendie ? Après avoir joué les pyromanes en acceptant que se tienne un référendum anticonstitutionnel, la France « appelle à la retenue » et se soucie de la sécurité de ses ressortissants en leur prodiguant des consignes de sécurité ; après avoir autorisé une élection à huis clos dont les résultats étaient connus d'avance, la « communauté internationale » se transformera-t-elle en pompier ? Pourtant, la tragédie était annoncée… Congo Brazzaville, ou l'histoire de l'inconséquence diplomatique et de la bêtise humaine…

 

 

[i] La guerre de 1997 a fait 40 000 morts pour une population de 4 millions d'habitants.


 

 

 

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afrique