Meurtres en série dans le Kasaï
Entretien
Depuis le 20 décembre 2016, date de la fin constitutionnelle du mandat du Président Joseph Kabila, la République Démocratique du Congo (RDC) vit une crise politique, sociale et sécuritaire majeure. Pour calmer les Congolais et ne pas risquer un embrasement du pays, le gouvernement a initié des dialogues politiques entre sa majorité et l'opposition. Le 31 décembre 2016, sous l'égide des évêques catholiques, un accord a été signé entre toutes les parties. Selon cet accord, l'élection présidentielle devait se tenir avant la fin 2017, mais il y a fort à parier que cet engagement ne sera pas tenu, aucune date n'ayant été encore annoncée. Si Kinshasa, la capitale, est restée calme malgré les remous politiques, des troubles ont éclaté des de nombreuses provinces : au Nord et Sud Kivu, au Kongo-Central, en Ituri et au Tanganyika. Les événements les plus graves se sont déroulés dans le Kasaï-Central. Depuis août 2016, ces troubles ont fait, selon l'ONU, des milliers de morts, dont 3 300 pour les seuls cinq premiers mois de l'année 2017. Quarante fosses communes ont été mises à jour et plus d'un million de personnes ont été déplacées.
Pour comprendre les événements qui se déroulent dans le Kasaï, l'IVERIS propose un entretien avec Robert Kongo, correspondant en France du journal kinois, le Potentiel.
Découverte d'une fosse commune dans le Kasaï
Que se passe-t-il dans cette région de la République Démocratique du Congo ?
Avant le mois d'août 2016, la situation dans le Kasaï était très calme. A cette date, des miliciens étrangers sont entrés dans cette zone. Le chef coutumier Kamwina Nsapu a organisé une rébellion, l'objectif du chef de ce soulèvement populaire était de défendre le territoire contre des éléments étrangers venus déstabiliser et piller cette région. Devant les dangers que courait le Kasaï, il a alerté les autorités congolaises et leur a demandé de l'aide pour déloger ces miliciens, mais le gouvernement à fait la sourde oreille et personne ne s'est porté au secours de cette province. Kamwina Nsapu a été tué dans des combats avec la police, le 12 août 2016, il a été enterré par les autorités congolaises, dans un endroit tenu secret. Ces dernières refusent toujours de communiquer le lieu de la sépulture à sa famille afin que ses parents puissent l'enterrer dignement et selon la coutume.
Qui sont ces éléments étrangers ?
Il y a des rumeurs, personne ne les a vraiment identifiées mais l'objectif est toujours le même : la déstabilisation de la RDC et sa balkanisation avec en ligne de mire le grand projet de la République du Kivu. Aujourd'hui les événements se passent dans le Kasaï mais demain ce sera ailleurs, dans le Kongo Central par exemple. Depuis 20 ans, c'est le même projet à l'ordre du jour. Pour l'instant, ces plans ont toujours échoué à cause de l'unité du peuple congolais, du sentiment d'appartenance à un Etat qui date de l'ère Mobutu.
En février dernier des vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux montrant des militaires de l'armée congolaise en train de décapiter des jeunes hommes suspectés d'appartenir au mouvement de Kamwina Nsapu. Deux experts de l'ONU, Zaida Catalan et Michael Sharp, qui enquêtaient sur les événements dans le Kasaï ont été assassinés en mars 2017. Où en est l'enquête sur ces meurtres ? Pourquoi, les Nations Unies n'ont-elles pas diligenté leur propre enquête ?
Il est curieux de constater que la « communauté internationale » ne puisse pas réagir plus fermement face à des événements d'une telle gravité. Il est incompréhensible que l'ONU n'aie pas effectué sa propre enquête. Pourquoi n'agit-elle pas ? Pourtant, elle sait quel était l'objet de l'enquête de ses deux experts. Ils ont été assassinés parce qu'ils avaient découvert des choses. Alors pourquoi ce mutisme ? On revient toujours à la question de départ : les raisons qui ont poussé Kamwina Nsapu à se soulever : l'accaparement des terres qui poussent les autochtones à l'exil. Plus de 165 organisations de la société civiles congolaises et des ONG ont demandé une enquête internationale indépendante sur les événements du Kasaï, mais le gouvernement la refuse toujours. Tant que Joseph Kabila restera en place aucune lumière ne sera faite, d'autant que l'armée est impliquée dans les violations massives des droits humains dans cette région.
L' Union européenne a infligé des sanctions, interdiction de voyages et gel des actifs à l'encontre de 16 hauts fonctionnaires congolais. De leur côté, les US ont également pris des mesures, la dernière en date place le général François Olenga, chef de la maison militaire du Président Kabila, sur une liste spéciale, lui interdisant de voyager et d'effectuer des transactions financières avec des entités américaines.
Pensez-vous que ces sanctions suffisent à arrêter la violence dans le Kasaï et plus généralement à sortir de l'impasse politique, puisque les élections qui devraient avoir lieu en 2017 ne sont toujours pas à l'ordre du jour ?
Ces sanctions sont des mesures symboliques mais elles ne suffisent pas, d'autant que pour l'instant ni Joseph Kabila ni sa famille ne sont touchés par ces mesures. Cela fait cinq mois que la RDC connaît un passage à vide et on ne voit toujours aucun résultat. L'accord politique du 31 décembre 2016 ne sera pas appliqué, les élections n'auront pas lieu en 2017, il paraît d'ores et déjà inenvisageable d'organiser ce scrutin cette année. Cela ne se fera pas car nous avons une classe politique et une opposition affligeantes. Nous n'entendons plus aucun leader de l'opposition, aucune voix ne s'élève pour dénoncer ce qui se passe dans le Kasaï. La majorité présidentielle est en train de casser tous les partis. Quel est ce pays où depuis cinq mois le rapatriement du corps d'Etienne Tshisekedi, décédé à Bruxelles en janvier dernier, est toujours bloqué faute d'entente sur le lieu de la sépulture entre, d'un côté les autorités congolaises et de l'autre, son parti et sa famille ? C'est une honte pour les Congolais en général mais aussi pour toute la classe politique.
Pourtant, l'avenir de la RDC devrait inquiéter tout le monde, celui de toute la région en dépend. Si elle pacifiée, toute l'Afrique centrale sera pacifiée, si elle bouge, tous les pays de la zone bougeront, dans un sens positif comme négatif.
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