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ASCOVAL, ALSTOM, FESSENHEIM, RENAULT-NISSAN : quel rapport ?

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20 mai, 2019
Tribune libre
Loïk Le Floch-Prigent


Regarder le documentaire d'Éric Gueret « La bataille de l'acier » sur le combat des 300 salariés d'Ascoval pour sauver leur site de Saint-Saulve c'est comprendre le désarroi, l'incompréhension des producteurs des usines et permet de réfléchir, si on le veut bien, aux conséquences réelles des décisions prises sans suffisamment de compétences et de réflexions. C'est aussi prendre la mesure des émotions des bons professionnels devant des évènements qui les dépassent et qui sont, pour eux, inexplicables. C'est revenir à la vie réelle de l'économie des territoires : condamner un site industriel, c'est annoncer la mort d'un écosystème, la disparition d'une biodiversité nationale indispensable.

 

 

On aurait pu réaliser un documentaire semblable à Belfort qui se meurt depuis la décision de la vente d'Alstom-Energie à General Electric ; à Fessenheim depuis que l'écologie politique a contraint le gouvernement à sa fermeture injustifiable ; chez Renault englué dans une affaire politico-judiciaire qui ne peut que mal finir pour les salariés du Groupe.

On espère que la reprise d'Ascoval par British Steel va finir par se faire, mais on sait dès aujourd'hui que la société britannique est fragile, que le Brexit risque de ne pas arranger les choses et surtout que les produits actuels d'Ascoval ne sont pas compétitifs. Il va donc falloir beaucoup d'argent et d'innovation pour arriver à sortir l'entreprise de l'ornière, la combativité des salariés en vaut sûrement la peine. Néanmoins, il eut fallu expliquer au personnel pourquoi on en est arrivés là, c'est-à-dire la chaine des mauvaises décisions qui ont conduit à cette catastrophe nationale : la disparition d'Arcelor dans Mittal, la tentative et l'échec des Aciers Spéciaux français, avec Ascometal, et la mise à l'écart de Saint-Saulve lors de la reprise des activités par les suisses-allemands, tandis que Vallourec, une des maisons mères, souffrait de la disparition de son marché national avec l'anathème porté contre le pétrole et le gaz dans notre pays. Toutes ces décisions condamnaient le site d'Ascoval, il fallait donc prévoir sa reconversion à partir de la vision que l'on pouvait avoir de l'évolution des marchés. C'était autrefois le devoir des industriels, mais les financiers qui les ont remplacés n'ont pas cette culture, ils se retournent vers l'Etat qui précipite les désastres en prenant des postures pour satisfaire un électorat avide de grands principes et d'idéologie.

Belfort se meurt et on cherche des solutions ! Mais c'est dès 2015, lorsque General Electric est autorisé à racheter 75% d'Alstom que le problème est posé. Il fallait avoir l'aveuglement des dirigeants de l'époque pour ne pas comprendre que les promesses ne seraient jamais tenues. Je me suis longuement exprimé sans jamais avoir été contredit, seulement ignoré parce que la doctrine officielle était que l'on avait sauvé l'électro-mécanique française… en la vendant ! Beau sauvetage ! Et les salariés de Belfort subiront le même sort que ceux de Grenoble (hydraulique Neyrpic-Alstom), on va en réduire le nombre et le pays perdra définitivement un fleuron pourtant tout à fait possible à préserver en 2015, encore possible en 2019. Demain il sera trop tard. On peut réaliser encore un beau documentaire !

Et Fessenheim ? la décision de fermeture a été électorale et présidentielle ! Pour obtenir les votes des écologistes politiques, il fallait sacrifier la peau de la « plus vieille centrale nucléaire française », et on l'a fournie. Mais cette décision est absurde techniquement et économiquement. On parle de reconversion mais tous les habitants de la région ont bien compris que c'était du pipeau, pour amuser la galerie. On sait aussi que l'équilibre du réseau électrique dans l'Est de la France sera délicat. Les salariés ont-ils bien travaillé ? Oui. Sont-ils punis ? Oui. Pourquoi ? Pour que quelqu'un gagne les élections ! Beau documentaire à prévoir.

Enfin, cerise sur le gâteau, Renault. En 1999 on prépare l'internationalisation du Groupe en investissant dans Nissan au Japon, deuxième constructeur japonais, en plein marasme, dont plus personne ne veut. C'est de l'argent durement gagné par des Français (avec une once des contribuables) qui va s'investir là-bas où l'on délègue à partir de Billancourt le patron, Carlos Ghosn. Cinq ans après Nissan est relevé, et en 2005, on demande à Carlos Ghosn de venir en 2005 redresser aussi la maison mère, ce qui sera fait en une dizaine d'années. Que faire désormais de cette Alliance entre les deux constructeurs ? Alliance déséquilibrée puisque c'est Renault le leader, patron compris. Pas facile comme question car si Renault n'a pris « que » 43,4 % c'est bien pour ne pas froisser la susceptibilité des Japonais. Mais dans le capitalisme moderne être l'actionnaire de référence est suffisant pour diriger l'entreprise. Carlos Ghosn a une idée, ce n'est pas la même que celle de l'Etat, actionnaire minoritaire mais influent, et le conflit s'installe. L'Etat, sans avertir personne, rachète en 2015 des actions supplémentaires s'octroyant ainsi de décider du sort de la société. Les Japonais hurlent à la trahison, Carlos Ghosn aussi, et comme ceux qui parlent fort sont aussi des faibles, les Français finissent par satisfaire les Japonais, Renault n'utilisera pas la force de ses 43,4 %, il sera toujours d'accord avec Nissan. Carlos Ghosn reste Président de Nissan mais il va « japoniser » le management, ce qui sera fait dès 2017. Il faut être complétement stupide pour ne pas comprendre alors qu'on a mis Carlos Ghosn en danger, il est le seul rempart contre la rupture effective de l'Alliance et non son renforcement, il suffit alors d'attendre comment cela sera réalisé. Fin 2018, on sait ! Carlos Ghosn est incarcéré, piégé ! On a beau raconter tout ce que l'on veut à la presse, la réalité s'impose, pour sauver Renault il faut revenir sur le début de l'investissement en 1999 et sur la nécessité d'utiliser le magistère de sa position d'actionnaire de référence. Pendant le même temps la « japonisation » a coulé Nissan, et Renault ne fait que regarder le train des réformes décidées ailleurs, ce qu'aucun actionnaire au monde ne pourrait accepter. Et les salariés dans tout cela ? Ils ont aidé au sauvetage de Nissan, chacun à son poste, ils ont cru en l'Alliance et ont aidé à son succès, ils ont accueilli le troisième larron, Mitsubishi Motors et ils vont voir les résultats de la maison mère liés à la sous-activité de Nissan fondre. S'il faut un jour, pas demain, mais après-demain, faire un coup d'accordéon sur telle ou telle activité de Renault, si les sous-traitants qui souffrent déjà des attaques contre le diesel sont menacés dans leur survie, seront-ils satisfaits de savoir que l'on a fait des gorges chaudes pendant des mois à propos du train de vie de leur ancien patron ? Eh bien non, ils demanderont et ils auront raison, ce qui a été fait de leur travail de reconstruction de Nissan et comment on les a défendus. Encore un beau documentaire en perspective, et on peut dès maintenant interroger les acteurs.

J'ai choisi quatre sujets, je pourrais en ajouter bien d'autres avec une petite pensée pour les habitants de Bessé-sur-Braye et de leur usine de papier d'Arjowiggins, car là encore tout le monde semblait ignorer que les techniques modernes allaient restreindre l'usage du papier, mais pas du carton !

La souffrance des travailleurs talentueux doit faire réfléchir les décisionnaires incompétents.

 

Tags:
alstom, arabelle, industries stratégiques