RDC : le jour se lèvera
Note d'analyse
Pendant combien de temps encore le fleuve Congo, l'un des plus beaux du monde, charriera-t-il des cadavres ? Ce pays semble oublié des dieux, mais pas des églises. « Le dimanche 31 décembre 2017, main dans la main nous marcherons pour sauver le Congo, notre patrimoine commun dans le respect sacré des personnes et des biens. - Libérons-nous de la peur, de la résignation et de l'inertie coupable. ». L'appel du Comité Laïc de Coordination (CLC), une structure laïque de l'église catholique, a été entendu. Dans les diocèses, les paroisses, bible à la main, ils sont venus, mais l'armée et la police ont bloqué les marches et tiré à balles réelles sur les fidèles, les ont attaqués au gaz lacrymogène parfois au sein même des lieux saints. Les croyants calmaient l'irritation de leurs yeux avec l'eau bénite. Bilan humain : huit morts, de nombreux blessés et des centaines d'arrestations, y compris des enfants de chœur (1). Le bilan politique, aussi, est catastrophique, cette énième répression de manifestations pacifiques en RDC a déclenché l'ire du cardinal Laurent Monsengwo qui a déclaré : « il est temps que la vérité l'emporte sur le mensonge systémique, que les médiocres dégagent et que règnent la paix, la justice en RD Congo. » (2)
Le 12 janvier, dans une cathédrale bondée avec au premier rang le ban et l'arrière ban du corps diplomatique en poste à Kinshasa côtoyant les opposants congolais, le Cardinal a célébré une messe en l'honneur des « martyrs de la Saint Sylvestre ». A la fin de la cérémonie, des tirs se sont fait entendre aux abords du lieu saint, deux blessés sont à déplorer. La CLC ne désarme pas et appelle, à nouveau, les fidèles à marcher le 21 janvier.
Joseph Kabila, qui ne peut constitutionnellement plus se parer du titre de Président, a trouvé sur son chemin un obstacle à franchir, qui n'a été déposé sur sa route ni par la « communauté internationale » ni par l'opposition congolaise.
Crédit photo RFI
L'église catholique, acteur légitime ?
La saillie du cardinal Monsengwo sur les « médiocres », n'est pas passée inaperçue (3). Le porte-parole du gouvernement, Laurent Mende y a vu un « discours belliqueux et une incitation à la haine » (4). Certains tentent un procès en illégitimité à l'église et disent craindre un conflit religieux (5). Pourtant lorsque la Conférence Nationale Episcopale du Congo (CENCO) a parrainé l'accord du 31 décembre 2016, qui prévoyait que « le Président reste en fonction jusqu'à l'installation du nouveau Président élu » contrevenant ainsi à la constitution, puisque selon le texte, le mandat de Joseph Kabila prennait fin le 19 décembre 2016, les mêmes trouvaient "les princes" de l'église légitimes et ne craignaient ni foudre ni guerre sainte.
C'est donc grâce à cet accord que Joseph Kabila a bénéficié d'un « glissement » d'un an (6). C'est à cause de la non-application de l'ensemble de cet accord, qui prévoyait aussi et surtout « l'organisation des élections présidentielle, régionales, et provinciales au plus tard en décembre 2017 » que la CLC a organisé la marche de la Saint-Sylvestre (7). Pour garder sa crédibilité dans l'opinion publique congolaise, l'église ne pouvait pas ne pas marquer d'une pierre blanche la violation de cet accord : « pacta sunt servanda » (8).
L'illégitimité de Joseph Kabila, de son gouvernement et des institutions
La constitution n'ayant pas été respectée, le Congo se retrouve dans un vide juridique. Le Président est illégitime ainsi que son gouvernement et toutes les institutions. Les sénateurs et les députés provinciaux étaient déjà hors mandat depuis 2012, les députés nationaux depuis février 2017 (9). L'accord du 31 décembre 2016 leur avait permis de rester en fonction jusqu'aux nouvelles élections. Cet accord étant caduc, légalement, les assemblées ne peuvent plus siéger et leurs éventuels votes n'auraient, par conséquent, aucune valeur. S'ils étaient respectueux de la constitution tous les parlementaires devraient donc logiquement démissionner. Cette décision les honorerait, mais le feront-ils ? Joseph Kabila, comme à son habitude, reste muet sur ses intentions et continue d'être maître de la police et l'armée, pour autant, ces forces ne peuvent plus être considérées comme régaliennes.
Le pays brûle…
L'année 2017 a été une année noire en RD Congo, pourtant habituée aux heures sombres. Non seulement les exactions des divers groupes armés se sont poursuivies à l'Est du Congo, au Sud et Nord Kivu, notamment à Béni, mais des troubles ont éclaté au Kongo Central, en Ituri et au Tanganyika.
La province du Kasaï s'est elle aussi enflammée, avec son cortège de massacres et d'horreurs. Dans cette province, tout au long de l'année des fosses communes ont été découvertes portant leur nombre à 80 et un million de personnes ont été déplacées (10-11).
Toujours dans le Kasaï, deux experts des Nations unies, Zaida Catalan et Michael Sharp, ont été assassinés le 12 mars 2017 (12). Près de Béni, un camp de la force de maintien de la paix des Nations unies (Monusco) a été attaqué le 7 décembre 2017, 15 soldats tanzaniens ont été tués et une cinquantaine de Casques Bleus ont été blessés. C'est la pire attaque dans toute l'histoire de la Monusco (13).
La communauté internationale sommeille…
Ces événements survenus en 2017, sont des signaux forts. Ils montrent, d'une part que la situation va de mal en pis, l'instabilité politique renforçant les groupes armés (14). D'autre part, même si les enquêtes officielles des Nations unies et du gouvernement congolais concernant l'attaque du camp de l'ONU et l'assassinat de ses deux experts désignent des milices, des investigations de journalistes ou de chercheurs pointent du doigt, elles, l'armée congolaise (FARCD) (15-16). L'opposant Etienne Tshisekedi voit lui, très justement dans ces attaques, la volonté de Kinshasa « d'obtenir le départ de la Monusco » (17).
Face à tous ces faits dramatiques, les institutions internationales, ONU, UA, CIRGL, (Conférence Internationale sur la région des Grands Lacs) ont condamné, déploré. Le Conseil de Sécurité a reconduit, comme chaque année depuis 2008, les sanctions concernant les armes et les sanctions financières (18). - Etrangement, le 31 mars 2017, quelques jours après l'assassinat des deux experts, alors que le Kasaï et les Kivu subissaient de graves troubles, le Conseil de Sécurité a réduit l'effectif de la Monusco de 3600 Casques Bleus (19) -. L'UE et les US ont tout de même reconduit leurs sanctions prises en 2016, gel des avoirs et interdiction de visas contre des membres du gouvernement congolais (20). Pour quels effets ?
Le 18 février, le Parlement européen doit discuter d'une résolution d'urgence pour la RDC. La Belgique ancien pays colonisateur plaide pour une ligne dure et a déjà prévu de supprimer ses aides au gouvernement congolais, pour les verser directement aux ONG. La France et l'Espagne, s'opposeraient aux diplomates belges en choisissant le dialogue avec Kinshasa. Sous couvert d'anonymat, un diplomate français a déclaré à RFI : « Il faut privilégier une solution concertée avec l'Union africaine et les pays de la région » (21).
Faut-il rappeler à la diplomatie française que l'UA n'a jamais troublé le sommeil de Joseph Kabila ? De plus, cette année, le Président de l'UA est le Rwandais, Paul Kagamé, soutien de Kinshasa. Faut-il rappeler encore que l'Afrique centrale est la seule région du monde où les chefs d'Etats en exercice cumulent des décennies de mandats (22) ? Si s'en remettre aux institutions continentale ou régionales peut être une solution idoine, dans ce cas précis, c'est assez singulier, cela ne revient-il pas à apporter un soutien déguisé à Joseph Kabila?
La messe n'est pas dite…
Quoiqu'il en soit, et quelle que soit la résolution que votera le Parlement européen, les Congolais n'attendent plus rien de l'extérieur et savent qu'ils ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Le 16 janvier, lors de son homélie en mémoire de Laurent Désiré Kabila, le cardinal François-David Ekonfo a déclaré dès le début de son sermon : « le Congo nous appartient, Dieu a donné la gestion du Congo à nous Congolais, ce n'est pas aux Américains, ce n'est pas aux Français, ni aux Belges ni à qui que ce soit. » Avec ce discours qualifié d'historique par la presse congolaise, l'église protestante a ralliée l'église catholique. (22)
Les "princes" des églises réussiront-ils là où les opposants politiques ont échoué ? Bienheureux celui qui pourrait le dire. « C'est quand la nuit devient de plus en plus noire, que l'on sait que le jour va se lever…» (23)
[1] http://information.tv5monde.com/afrique/rdc-huit-morts-dans-la-repression-des-marches-anti-kabila-211995
[2] http://cenco.cd/declaration-cardinal-laurent-monsengwo-marge-de-marche-31-decembre-2017/
[3] Au sens littéral du terme selon le larousse : une saillie trait d'esprit brillant et imprévu http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/saillie/70537
[4] https://www.radiookapi.net/2018/01/11/actualite/societe/rdc-la-cenco-denonce-une-campagne-dintoxication-et-de-desinformation
[5] http://www.politico.cd/actualite/la-une/2018/01/15/centre-appelle-a-rencontre-entre-kabila-monsengwo.html
[6] https://www.iveris.eu/list/notes_de_voyage/170-kinshasa__african_chaos
[7] https://rassop.org/2017/01/03/copie-de-laccord-global-et-inclusif-signe-le-311216/
[8] une locution latine pour dire « les conventions doivent être respectées »
[9] Voir accord du 31 décembre 2016
[10] http://www.rfi.fr/afrique/20170712-rdc-decouverte-38-nouvelles-fosses-communes-kasai
[11] https://www.iveris.eu/list/entretiens/266-meurtres_en_serie_dans_le_kasai
[12 http://congoresearchgroup.org/the-assassination-of-the-un-experts-what-do-we-know/ et http://webdoc.rfi.fr/rdc-kasai-violences-crimes-kamuina-nsapu/chap-04/index.html
[13] http://congoresearchgroup.org/monusco-suffers-the-worst-attack-in-its-history
[14] https://www.grip.org/fr/node/2500
[15] http://congoresearchgroup.org/monusco-suffers-the-worst-attack-in-its-history/
[16] http://congoresearchgroup.org/monusco-suffers-the-worst-attack-in-its-history/
[17] https://www.un.org/sc/suborg/fr/sanctions/1533/resolutions
[18] https://monusco.unmissions.org/rdc-le-conseil-de-s%C3%A9curit%C3%A9-r%C3%A9duit-les-effectifs-militaires-de-la-monusco-de-3600-casques-bleus
[19]https://www.un.org/press/fr/2017/cs12883.doc.htm
[20]http://fr.africanews.com/2017/12/11/l-union-europeenne-prolonge-d-un-an-ses-sanctions-contre-la-rdc//
[21] http://www.rfi.fr/afrique/20180115-rdc-apres-belgique-quelle-strategie-ue
[22] https://desc-wondo.org/fr/laurent-desire-kabila-day-mercenaires-chars-armes-gaz-lacrymogenes-impuissants-devant-verite-jb-kongolo/
[23] Proverbe africain
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afrique, afrique; afrique centrale; republique democratique du congo