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Côte d'Ivoire, Abidjan, octobre-novembre 2015

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04 novembre, 2015
Note
Leslie Varenne


A la veille du scrutin présidentiel, dans la capitale politique, l'atmosphère est impalpable. Le temps est suspendu. Abidjan est vide. Comme toujours dans les temps incertains, les élites ont envoyé leurs familles à l'étranger. La classe moyenne a fait des provisions et se terre chez elle. Les pauvres sont partis au village en attendant que l'élection se passe. Election, ce seul mot, terrorise les Ivoiriens. Sans aucun doute, les souvenirs douloureux de la Présidentielle de 2010 et de la guerre de 2011 qui a suivi, remontent à la surface. Mais il y a autre chose, il règne un climat étrange et indicible. Jamais les Ivoiriens n'ont été aussi taiseux. C'est un peuple pudique sur ses souffrances, mais qui adore les joutes politiques. Aujourd'hui même les chauffeurs de taxi, d'ordinaire si volubiles restent muets. 

En public, personne ne s'aventure à commenter les résultats de la présidentielle qui vient de se dérouler. Officiellement, Alassane Ouattara a été élu avec plus de 83% des voix et le chiffre de l'abstention, après avoir beaucoup fluctué, serait, selon le Conseil constitutionnel, de 47%. En privé et seulement lorsqu'ils sont en confiance, certains osent donner leur sentiment sur la situation : « Chez nous, lorsqu'il y a un événement heureux, tout le monde sort crie et danse. Le Président a été élu et personne ne sort. Ce n'est pas normal, les Ivoiriens n'ont jamais vécu ça. Si chacun reste chez soi, c'est à cause de la méfiance et la méfiance c'est la guerre… Nous on regarde ce qu'il se passe et on s'en remet à la providence. »

Gêné, contrarié, par ce silence pesant, le pouvoir essaye coûte que coûte de faire sortir la population. Dans leurs fiefs, les barons du parti d'Alassane Ouattara organisent des concerts.  Musiciens, chanteurs et sono géantes attirent une jeunesse désœuvrée… Tous les soirs au journal de 20h, la RTI, (Radio Télévision Ivoirienne), montrent les images de cette foule qui applaudit… la musique ! Effet d'optique, illusion de fête, personne n'est dupe. Après la proclamation des résultats, par le Conseil constitutionnel, Abidjan a retrouvé sa vie animée et ses éternels embouteillages, chacun vaque à ses occupations en priant pour que le ciel ne lui tombe pas sur la tête.

La seule à donner de la voix, c'est la presse ivoirienne, c'est un monument qui devrait être classé au patrimoine mondial de l'UNESCO ! Elle hurle, tonne, dénonce ou applaudit à tout rompre. Elle est à nulle autre pareille. Elle côtoie le pire comme le meilleur. Parfois, il vous arrive d'être happé par un titre accrocheur et de chercher en vain l'article correspondant à l'intérieur du journal. Parfois encore, les informations sont saugrenues ou erronées. Mais très souvent les articles sont justes et les analyses pertinentes. A Abidjan, la presse ne se cache pas sous le voile pudique et hypocrite de l'objectivité, c'est une presse d'opinion, elle le revendique et les journalistes savent encore tremper leur plume dans l'acide. Chaque parti a son journal et en a parfois même plusieurs. A elle seule, la presse pro-Gbagbo, appelée la presse bleue, dispose d'au moins quatre quotidiens. Il existe aussi le journal du pouvoir, Fraternité Matin, toujours en place quel que soit le Président, il change seulement de ligne politique et de directeur de publication lors d'une alternance. Même, Guillaume Soro, l'ancien seigneur de guerre qui a coupé le pays en deux pendant 10 ans, devenu honorable Président de l'Assemblée Nationale sous Alassane Ouattara, possède son journal qu'il a appelé, non sans humour, Nord-Sud. Le nombre d'exemplaires vendus de ces quotidiens ferait pâlir d'envie la presse française. Chancelleries, hommes politiques ou d'affaires, tous ceux qui en ont les moyens effectuent la razzia du matin et achètent tous les titres. Ceux qui n'ont pas le sou lisent les Unes qui s'étalent devant les nombreux kiosques disséminés un peu partout. Ces badauds, qui passent de longues minutes devant ces panneaux à observer les titres des journaux, sont appelés les « titrologues ».

Le jour de l'investiture d'Alassane Ouattara, le journal bleu, LG infos, s'insurgeait et dénonçait : « L'investiture de la honte ». Pendant que Nord-Sud clamait : « Ouattara, une victoire incontestable ». Malgré tous ses efforts, le Président sortant n'a pas réussi à se défaire de cette presse vivante, brouillonne et politiquement incorrecte. Un homme politique ivoirien confie : « c'est la seule chose que les ambassades n'ont pas laissé passer à Ouattara pendant son dernier mandat. Chaque fois qu'il a essayé d'interdire la parution d'un titre, les chancelleries ont protesté. », Signe que les temps ont bien changé dans l'ancien pré-carré français, les USA faisaient encore une manchette de UNE, après avoir été très présents pendant la campagne comme pendant l'élection, ce 4 novembre au lendemain de l'investiture l'Inter  titrait : « Les USA à Ouattara : voici nos priorités ».

 

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côte d'ivoire, abidjan