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Europe de la défense et capacités militaires

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04 juin, 2017
Note
Général Dominique Delawarde


L'Institut Thomas More a publié une note très intéressante sur les capacités militaires que les pays européens pourraient engager au sein d'une "Europe de la Défense ". L'IVERIS publie cette étude assortie des commentaires avisés du Général Dominique Delawarde (1). 

 

Les Européens, combien de divisions ?

 

L'heure est-elle à la relance de l' « Europe de la défense » ? Certains veulent le croire, comme le nouveau président français Emmanuel Macron ou la chancelière allemande Angela Merkel. Les obstacles à une avancée significative demeurent pourtant nombreux et la levée, avec le Brexit, de l'opposition britannique à une défense européenne pleinement constituée ne doit pas dissimuler les contradictions et les oppositions qui existent entre les autres États membres de l'Union européenne.

A la veille du sommet de l'OTAN des 25 et 26 mai 2017, l'Institut Thomas More se propose d'étudier les capacités militaires disponibles pour la défense de l'Europe. Car, avant toute réflexion sur les architectures et les organigrammes, il convient de se faire une idée claire des moyens que les pays européens accordent à leur défense. Basé sur les données du Military Balance de l'International Institute for Strategic Studies, de l'OTAN et de l'Agence européenne de défense, l'état des lieux est alarmant. Présenté en détails dans cette nouvelle note d'analyse, en voici l'essentiel.

 

Les Européens ne consacrent que 1,2% de leur PIB à la défense

Depuis deux ans, les budgets repartent à la hausse mais l'effort reste très en-deçà de ce que font les États-Unis (3,3%) ou la Russie (3,7%). Si la Chine reste à 1,3%, elle a quadruplé son budget de défense en onze ans.

 

 

Commentaire du Général Dominique Delawarde :

Pour mieux évaluer la réalité des chiffres évoqués ci-dessus, trois facteurs sont à prendre à compte : 

Le premier est la dynamique : alors que les budgets européens augmentent depuis peu de manière infinitésimale après une longue cure d'amaigrissement, la moyenne des budgets de défense de la Chine, de l'Inde et de la Russie (membres de l'Organisation de Coopération de Shangaï) ont augmenté et continuent d'augmenter à un rythme supérieur de 7 % par an.

Le second est la Parité de pouvoir d'achat (PPA). Les comparaisons ci-dessus sont exprimées en dollar nominal. Si l'on veut avoir une idée réelle de la situation « défense » des trois pays de l'OCS mentionnés, il faut, bien entendu, traduire ces chiffres en PPA. Cela revient, à presque doubler les budgets de défense donnés pour la Chine, la Russie et l'Inde.

Enfin, les chiffres attribués à la France 47,2 milliards d'euros et 1,9% du PIB semblent sensiblement surévalués. Alors que le budget alloué au ministère des Armées est de l'ordre de 32 milliards d'euros et que nos politiques admettent que nous ne sommes guère qu'à 1,77% du PIB et qu'on espère atteindre 2% en fin de quinquennat Macron. Merci donc à Military Balance de percevoir et présenter la Défense française mieux qu'elle n'est en réalité.

 

Un effort à produire de 98 milliards d'euros par an pour atteindre le seuil de 2% du PIB, recommandé par l'OTAN

 

 

Commentaire GDD :

Un effort considérable reste à faire, notamment pour la France dont j'ai indiqué que les chiffres de départ présentés par Military Balance étaient sensiblement surévalués. Une Union européenne, en très faible croissance, aura-t-elle la volonté et la capacité de consentir cet effort ? C'est infiniment peu probable...

 

Une dépense de défense très concentrée et au rendement faible

Cinq pays (Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Espagne) représentent plus de 75% des dépenses européennes de défense. Comme le dit Federica Mogherini « les dépenses militaires des Européens sont deux fois inférieures à celles des États-Unis. Et compte tenu de leur fragmentation, leur rendement équivaut à 15% des dépenses américaines ».

 

 

Commentaire GDD :

La fragmentation des budgets de défense des pays de l'UE débouche sur un rendement faible, de moitié inférieur à celui des USA, mais aussi de la Chine, de l'Inde ou de la Russie dont les budgets, eux, ne sont pas fractionnés… Avec le prochain BREXIT, on voit bien la difficulté de construire une défense européenne ayant « un bon rendement ».

 

Une R&D européenne insuffisante, éparpillée et en retard

Les dépenses de R&D européennes s'élevaient à 8,8 milliards d'euros en 2014, soit un rapport de un à neuf avec les États-Unis (76 milliards). Les industries européennes de défense courent un risque de déclassement majeur, avec des retombées lourdes de conséquences pour les armées de nos pays mais aussi pour les exportations d'armements.

 

 

 

Commentaire GDD :

Avant de rebâtir une R&D efficace et une industrie autonome d'armement, l'Union européenne, ce qu'il en restera après le Brexit, aura besoin de temps et de volonté. Aura-telle l'un et l'autre ? On peut en douter.

 

Près d'un quart de soldats en moins en 10 ans

En dix ans, les effectifs des armées européennes ont fondu de 451 000 hommes, soit une baisse de 23%. Cette baisse s'explique bien sûr par le changement de paradigme en Europe après la chute de l'Union soviétique et la professionnalisation des armées. Mais elle est deux fois plus rapide qu'aux États-Unis ou en Russie et plus de six fois plus rapide qu'en Chine. Il apparaît que les Européens sont allés trop loin dans la baisse de leurs effectifs.

 

 

 

 

Commentaire GDD :

Les évolutions montrées ci-dessus ne remontent, heureusement, qu'à dix ans. Si le point de départ avait été la chute du mur de Berlin et l'évolution mesurée sur 25 ans et non dix, le résultat eut été désastreux pour l'OTAN. Pour être clair, l'OTAN qui a gagné la guerre froide n'a rien avoir avec ce qu'il en reste aujourd'hui en terme d'effectif. Qu'on le veuille ou non, une baisse excessive des effectifs constitue aujourd'hui un facteur de grande faiblesse pour l'UE.

 

 

 

Commentaire GDD :

L'affichage du nombre de soldats par habitant n'a guère de pertinence tant les différences de population entre les pays sont considérables. En revanche, on aurait pu aborder le problème des langues. Si l'on excepte la langue de travail unique de l'État major otanien, plus ou moins bien maîtrisée par les officiers qui y servent, les armées nationales composant l'OTAN utilisent une vingtaine de langues différentes. Les Chinois ou les Russes, eux, n'en utilisent qu'une dans leur armée, ce qui est peut être un atout.

 

Des réservistes en nombre souvent insuffisant

Parmi les principaux pays, l'Allemagne ne dispose que de 27 600 réservistes, la France de 28 100 et l'Italie de 18 300. Le Royaume-Uni se distingue par une réserve de 81 350 hommes. Des chiffres notoirement insuffisants pour faire face aux besoins de sécurité intérieure, qui mobilisent actuellement trop de soldats d'active.

 

 

Commentaire GDD :

Fort heureusement pour le lecteur, l'analyse de l'institut Thomas More n'a pas présenté les effectifs de réservistes de la Chine, de l'Inde, de la Russie et des cinq autres partenaires de l'Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) dans laquelle l'UE peut trouver ses principaux adversaires potentiels. Le rapport des effectifs réservistes entre l'UE et l'OCS est de l'ordre de 1 à 50 au moins.

 

Des armées sous-équipées

Un regard global montre l'étendue de la baisse du niveau d'équipement des armées européennes, en dix ans, qu'il s'agisse des hélicoptères d'attaque (-52%), des avions de combat (30%), des frégates ou des destroyers (-15%) ou des sous-marins qu'ils soient à propulsion nucléaire (-16%) ou à propulsion classique (-22%). En ce qui concerne les drones, le retard européen est flagrant, que ce soit par rapport aux États-Unis ou à la Chine.

 

 

Commentaire GDD :

Là encore, il est heureux que la comparaison ne remonte qu'à 2005 et non à 1992. Le résultat eut été effarant pour le lecteur. Ce qu'il faut retenir c'est surtout la dynamique. Alors que l'UE a baissé la garde depuis 1992 et n'a consenti aucun effort à ce jour pour redresser la situation, tous nos adversaires potentiels de l'OCS (Chine, Russie,….) ont fait et continue de faire effort pour s'équiper à marche forcée. Il faudra du temps et de la volonté à l'UE pour rétablir un niveau d'équipement « convenable ». Disposera-t-elle des deux ? On peut en douter.

 

Des matériels vieillissants et de moins en moins disponibles

17% des hélicoptères Tigre engagés par les troupes françaises au Sahel sont disponibles. 20% des équipements terrestres utilisés pour l'opération Barkhane ne seront pas réutilisables. En 2015, le ministère de la Défense britannique a annoncé la prolongation des véhicules de combat Bulldog, entrés en service dans les années 1960 (57 ans d'âge). Entre 23% et 44% des hélicoptères allemands, selon les types, sont opérationnels. La moitié des Eurofighter qui équipent la Luftwaffe volent effectivement.

 

Commentaire GDD :

Le rapport d'information (non classifié) de la commission parlementaire de la Défense et des Forces Armées du 9 décembre 2015 traitant des conséquences du rythme des Opérations Extérieures (OPEX) sur le maintien en condition opérationnelle des matériels est effarant. Il confirme l'état de déliquescence des matériels majeurs des Armées Françaises. On y apprend que sur les 7 Hélicoptères Tigres déployés en OPEX, la Disponibilité Technique Opérationnelle (DTO) était de 30,9% soit deux appareils disponibles en moyenne. On y apprenait que, pour les 53 Tigres non déployés, donc en métropole, la DTO était de 13,2%  soit 7 appareils disponibles au total sur 53 (les autres étant immobilisés par des réparations ou des attentes de pièces détachées). En résumé, sur ce simple exemple, on peut déduire, en simplifiant, que, sur 60 appareils TIGRE (HAP, HAC), payés 30 millions d'euros chacun, qui constituent le fer de lance de notre aviation légère de l'armée de terre, moins de 10 appareils sont en état de fonctionnement "opérationnel". C'est inquiétant pour un éventuel engagement de haute intensité de l'AdT, surtout lorsqu'on sait que l'Armée Française est la deuxième Armée de l'OTAN. Mais on peut poursuivre le constat avec d'autres données du rapport : La DTO du parc Puma non déployé en opération est de 24,6%. 3 appareils PUMA sur 4 ne sont pas opérationnels. Le Parc Cougar non déployé a une DTO de 9,2% soit 9 appareils sur 10 non opérationnels. La DTO des Hélicoptères CARACAL est de 22% en OPEX et de 16,9% pour le Parc CARACAL non déployé. La DTO du parc Rafale non déployé est de 49% pour l'Armée de l'Air et de 31% pour la Marine. Non seulement les armées ont vu le nombre de leurs appareils et matériels majeurs décroître fortement depuis un quart de siècle, avec l'augmentation de leur coût unitaire, mais la DTO très faible de ces équipements vient réduire très fortement le nombre d'appareils utilisables. Ce nombre total d'appareils réellement disponibles ne se compte plus en centaines, mais en une poignée de dizaines que ce soit pour l'Armée de Terre, pour la Marine, et pour l'Armée de l'Air.
Pour la deuxième armée de l'OTAN, le total semble léger, très léger. Ce bilan catastrophique de la disponibilité opérationnelle des matériels majeurs étant partagé par les autres armées de l'UE, on peut en conclure que l'OTAN, hors USA, est devenu ce qu'il n'était pas avant 1992 : un conglomérat de Forces armées nationales en état de décomposition avancée.

 

Une faible mobilisation à l'extérieur des frontières

L'Italie déploie 6 900 hommes en opérations extérieures (29 opérations), la France 6 150 (15 opex), le Royaume-Uni un peu plus de 4 000 hommes (20 opex), l'Allemagne 4 070 (14 opex) et la Pologne 3 500 (14 opex). C'est évidemment la lutte contre l'État Islamique qui mobilise le plus de troupes actuellement : les Britanniques sont engagés à hauteur de 1 350 hommes, les Italiens de 1300 et la France de 1200 hommes. La modestie des interventions extérieures des Européens est le résultat de l'affaiblissement général des armées.

 

Commentaire GDD :

Outre les OPEX et s'agissant de la France, une part non négligeable de ses forces vives sont déployées hors de l'hexagone. Ce sont les forces dite de présence (Sénégal, Côte d'Ivoire, Gabon, EAU, Djibouti) et les forces de souveraineté (Polynésie, Antilles, Guyane, Sud Océan Indien, Nouvelle Calédonie). Si l'on ajoute à tout cela l'opération « Sentinelle » qui hypothèque des effectifs importants pour la sécurité intérieure et les très nombreux personnels en formation initiale ou continue (compte tenu du turn over très élevé de l'institution), on peut se demander ce qu'il reste vraiment pour une opération de haute intensité dans le cadre de l'OTAN.

Rappel pour les lecteurs non informés : la totalité de l'effectif des forces vives de l'armée de Terre française tiendrait dans le Stade de France.

 

Après le Brexit, inventer une « relation spéciale » avec Londres

La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne constitue une perte incontestable dans le domaine de la défense et de la sécurité. Pour autant, le pays reste un acteur clé dans l'architecture de défense OTAN et UE. L'heure doit donc être à la négociation d'une « relation spéciale » entre Bruxelles et Londres, plutôt qu'à une volonté de punir ou de tourner le dos à notre partenaire.

 

Commentaire GDD :

Le Brexit pose un problème pour l'éventuelle construction d'une Défense Européenne solide, c'est incontestable. Mais un autre problème qui, lui, concerne l'OTAN, pourrait bien surgir à court ou moyen terme : celui du basculement de la Turquie dans le camp eurasiatique. Rejetée par l'UE, avec laquelle elle entretient des relations plus que tendues, trahie par les USA (tentative de coup d'état, fourniture d'armes aux Kurdes), la Turquie entretient aujourd'hui de bonnes relations avec la Russie et avec l'OCS dont elle est l'un des huit « partenaires de discussion ». Elle n'a jamais été aussi prête à basculer dans le camp eurasiatique dont elle s'est considérablement rapprochée.

 

La défense de l'Europe avant l' « Europe de la défense »

Certains veulent croire à une relance de l'« Europe de la défense ». Soit. Mais sans un véritable pouvoir politique unifié au sommet, avec un solide soutien des États membres (gouvernements et opinions publiques), il n'y aura pas de « défense européenne » avant longtemps. La réalité est que les déclarations officielles ne sauraient dissimuler l'état inquiétant des capacités militaires en Europe. Depuis la fin de la Guerre froide, les États européens ont baissé la garde, et même largement désarmé. Le principal défi consiste donc à accroître les budgets de défense, à financer de grands programmes d'armement et à restaurer la puissance militaire collective de l'Europe. C'est à l'aune des moyens que l'on jaugera les intentions.

 

Commentaire GDD :

Alors que nos adversaires potentiels ne cessent de s'armer à marche forcée, l'UE continue de s'en tenir aux déclarations d'intention, aux discours et aux postures. Le fait incontestable est que l'OTAN de 2017 ne ressemble en rien à l'OTAN de 1992. Elle est devenue un conglomérat de Forces Armées nationales en état de décomposition avancée. Le Président Trump, dont le pays, criblé de dettes, assume à lui seul l'essentiel de l'effort de défense de la « coalition occidentale », a tenté de convaincre les Européens de participer davantage au financement de la défense commune. Espérons qu'il finira par être entendu avant qu'il ne soit trop tard. Le temps ne joue pas, aujourd'hui, en faveur de l'UE. Ce qui est fascinant, et parfois à la limite du comique, c'est de voir nos dirigeants politiques (français et européens) continuer comme si de rien était à « rouler les mécaniques », à « tracer des lignes rouge » dans des discours aux accents guerriers alors qu'ils n'ont évidemment pas les moyens autonomes d'appuyer ces discours et de les rendre crédibles. Les temps que nous allons vivre vont être passionnants, dangereux, et déterminants pour l'avenir de l'UE et de l'OTAN.

 

(1) http://institut-thomas-more.org/2017/05/24/les-europeens-combien-de-divisions/

 

Tags:
europe, europe de la défense, otan