Afghanistan : Donald Trump confronté à la réalité
Entretien
Contrevenant à ses promesses de campagne, Donald Trump annonçait le 21 aout 2017, l'envoi de nouvelles troupes en Afghanistan et expliquait ainsi sa volte-face : « Mon instinct initial était de se retirer, mais les décisions sont très différentes lorsque vous êtes dans le Bureau ovale ». Immédiatement, comme pour toutes les décisions que prend le Président américain, tous les commentateurs, y compris, ceux qui avaient soutenu contre vents et marées toutes les interventions militaires de l'OTAN dans ce pays, se sont moqués de ce revirement, l'accusant de prendre le risque d'entraîner son pays dans une guerre sans fin (1). Pourtant, au regard de la situation actuelle, Donald Trump n'avait pas d'autres choix. Décryptage avec Patricia Lalonde, député européen, spécialiste de l'Afghanistan, un Etat où elle se rend régulièrement depuis 20 ans…
Le 3 aout 2017, donc avant la décision de Donald Trump, dans un article publié dans le Huffington post, vous alertiez sur la situation catastrophique qui prévaut en Afghanistan, notamment sur la progression des taliban et sur le l'arrivée dans ce pays des combattants de l'Etat islamique chassés d'Irak et de Syrie. Pour vous, la volte-face de Donald Trump par rapport à ses engagements de campagne de maintenir ses troupes et d'envoyer des renforts en Afghanistan est donc justifiée (2) ?
La décision de Donald Trump s'explique par la recrudescence de la violence, de l'insécurité, des attentats presque quotidiens qui ensanglantent le pays. Il paraissait difficile pour le Président américain d'expliquer à ses militaires que les Etats-Unis allaient abandonner les Afghans à leur sort et que cette guerre était perdue. D'autant plus que les combattants de Daesh y ont maintenant pignon sur rue et se mêlent aux talibans pour tenter de prendre le pouvoir et d'y installer l'Etat Islamique qu'ils ont échoué à établir en Irak et en Syrie.
Comment expliquez-vous que cette décision donne lieu à un déferlement unanime de critiques, y compris de médias qui ont toujours soutenu les opérations de l'OTAN dans ce pays ? Pourquoi subitement n'entendons-nous plus parler de démocratie, de droits des femmes, d'éducation pour les filles qui ont toujours été les éléments de langages pour justifier les interventions militaires étrangères en Afghanistan ?
Depuis les dernières élections en Afghanistan, la Communauté internationale ne s'est plus intéressée à la situation politique de ce pays.
Après avoir aidé à l'instauration d'un gouvernement d'Union Nationale et après des élections contestées, les Américains ont cru un peu rapidement que la situation était stabilisée. Mais les antagonismes entre le Président, Ashraf Ghani, et son premier ministre, Abdullah Abdullah, dont le poste n'a jamais été institutionnalisé, contrairement à ce qui avait été décidé dans les accords avec John Kerry, ont freiné les réformes et ralenti la lutte contre la corruption. En réalité, depuis la chute des taliban en 2001, de vrais progrès en ce qui concerne l'éducation, l'amélioration de la condition des femmes ont été réalisés. N'oubliez pas que le parlement afghan compte 26% de femmes, les filles sont scolarisées, les jeunes filles vont à l'université et ont dans les grandes villes accès à l'emploi. La jeunesse a envie de modernité.
Ce sont précisément l'insécurité et l'avancée des taliban dans certaines régions qui freinent le développement. C'est exactement leur but et celui de Daesh également, ce qui fait d'ailleurs dire à Donald Trump que « l'Afghanistan est à la frontière entre la barbarie et la modernité ».
Il est important de souligner que le retour récent de Gulbuddin Hekmatyar, le puissant patron du Hezb-e-Islami, a largement contribué à la dégradation sécuritaire. Il a toujours gardé des liens avec les taliban pakistanais du groupe Haqqani. Le président Ghani a sans doute cru que le retour d'Hekmatyar allait aider à faire avancer la négociation avec les talibans.
Pourquoi Donald Trump réussirait-il, là où depuis 16 ans tous ses prédécesseurs ont échoué ? Sergueï Lavrov n'a-t-il pas raison lorsqu'il dit que l'approche américaine en Afghanistan mènera à une impasse ?
Tout le monde s'est cassé les dents en Afghanistan car les Pakistanais ont toujours joué double jeu et jamais ni les américains ni l'Otan n'ont osé être assez fermes et menaçants afin qu'ils stoppent toute aide aux taliban. Si Donald Trump fait fortement pression sur le Pakistan, cela sera sûrement un tournant dans la guerre.
L'envoi de 3900 militaires supplémentaires ajouté aux 11000 déjà présents n'y suffiront pas. Il est important qu'il y ait un gouvernement fort et uni ce qui est loin d'être le cas (2). La lutte contre Daesh et les talibans ne pourra se faire qu'avec l'aide non seulement de l'armée afghane mais également avec celle des partis politiques. Il est indispensable que les Afghans mettent de côté leurs divergences ethniques qui font le jeu des pays voisins.
Le gouvernement actuel d'union nationale devra prendre en compte la nouvelle alliance « La coalition for salvation of Afghanistan » qui est composée des anciens commandants de l'Alliance du Nord qui a déjà aidé les américains à renverser les taliban. Les dernières déclarations de Gulbuddin Hekmatyar, critiquant le rôle du Commandant Massoud pendant la guerre civile à Kaboul sont très inquiétantes et risquent de faire ressurgir les fantômes du passé.
Le premier ministre Abdullhah, proche collaborateur de Massoud n'a pu laisser passer cela. De même Atta Mohammad Nur, le puissant gouverneur de la province de Bakh au Nord a fortement vilipendé Gulbuddin Hekmatyar pour ces propos, l'accusant de mener un double jeu vis-à-vis des Pakistanais et d'être revenu en Afghanistan pour semer le désordre et faire ressurgir les fantômes de la guerre civile.
S'il est logique que les Russes soient inquiets du maintien des troupes américaines, après 20 ans d'un combat contre les talibans perçu comme un échec, il n'est pas certain que les propos de Sergueï Lavrov, vouant la stratégie américaine à l'échec soit réellement le reflet de la réalité.
Il est vrai que Le bras de fer entre Russes et Américains depuis les guerres en Syrie et en Irak rejailli sur l'Afghanistan.
Mais les dernières déclarations de Donald Trump lors de sa conférence de presse avec le Président finlandais à la Maison Blanche augurant de la nécessité de travailler avec les Russes annoncent peut être à nouveau un tournant dans les relations russo- américaines, tout au moins en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme des islamistes radicaux partout dans le monde.
Quelle peut-être, quelle doit être, la position de l'Union Européenne sur ce sujet ?
L'UE devrait aider à concilier toutes les parties en Afghanistan en approuvant l'envoi de renforts américains et en aidant sur le terrain.
C'est dans l'intérêt de l'Europe qui sera la première menacée si l'Afghanistan et par effet de dominos les pays d'Asie Centrale, Tadjikistan, Ouzbékistan, Kirghiztan, Khazkstan, tombent dans les mains des islamistes radicaux. Des vagues de migrants viendront gonfler celles venues d'Afrique et du Moyen Orient.
En revanche, si les Américains disent ne plus vouloir s'intéresser au « Nation Building », l'Europe doit continuer son aide que ce soit pour la formation de l'armée afghane ou l'aide au développement.
A l'occasion de la décision de Donald Trump, un vieux marronnier refait surface, celui d'une guerre pour faire main-basse sous le sous-sol de ce pays riche en minerais. Pensez-vous que ce soit réellement une clé dans la décision américaine, compte tenu de la chute des cours des matières premières et de la situation sécuritaire sur le terrain ?
S'il est vrai que le projet de la route de la soie, OBOR (One Belt, One Road) renforcera considérablement la Chine et ses relations avec la Russie, les Etats-Unis regardent cela d'un œil méfiant et ne sont pas mécontents de garder un pied en Asie Centrale, mais la sécurité et la lutte contre Daesh et les groupes islamistes radicaux passent avant tout.
[1] http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/08/26/donald-trump-dans-le-piege-afghan_5176900_3232.html
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