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Burkina Faso : un silence coupable

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13 mars, 2023
Note
Leslie Varenne


Le 10 mars 2023, le Collectif contre l'Impunité et la Stigmatisation des Communautés (CISC) a publié un communiqué de presse faisant état d'exécutions extrajudiciaires qui ont eu lieu le 8 mars dans la commune de Rollo dans la région du centre nord au Burkina Faso. (Voir l'intégralité du communiqué à la fin de cette note.) Vingt personnes ont été tuées, 18 de la communauté peule, deux de celle des Mossis. Ce document n'est pas un énième communiqué, il est celui de trop. 

Il décrit par le menu une tragédie, de celles qui rappellent des heures sombres. Le mode opératoire des « présumés auteurs » Forces de Défense et de Sécurité et Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) en atteste. Les hommes sont mis à l'écart puis exécutés sans autre forme de procès ; la mère qui s'interpose pour tenter de sauver son fils subit le même sort ; les femmes sont torturées pour qu'elles fournissent des renseignements sur les djihadistes qu'elles ne détiennent pas ; les survivants se voient interdire d'enterrer les corps des victimes, une pratique déjà enregistrée lors des massacres précédents qui consiste à ajouter de la honte et de l'humiliation au malheur.

Le CISC est né en janvier 2019 au lendemain du massacre de Yirgou où 210 personnes, toutes peules, ont été tuées par la milice koglweogos. Son secrétaire général, le docteur Daouda Diallo et toute l'équipe de l'association n'étaient pas préparés pour faire ce travail de collecte de l'information, de recensement, de communication. Ils l'ont pourtant réalisé avec sérieux, souci de l'exactitude et de la précision. Tous les journalistes et les institutionnels qui suivent le Burkina Faso le savent.  

S’ils avaient rapporté de fausses informations, s’ils s’étaient trompés ne serait-ce qu’une seule fois, ils auraient été lynchés sur la place médiatique tant leur travail dérange. Le mois dernier le consortium de journalistes Forbidden Stories a rapporté que l’article écrit en 2020 dans Valeurs actuelles pour nuire au travail du Comité international de la Croix Rouge (CICR) au Burkina Faso et au CISC était une opération d’influence. Toute la presse s’est emparée de l’information mais elle ne s’est focalisée que sur le seul CICR alors que le CISC était également cité. En outre, elle ne s’est intéressée qu’au messager et pas au message. Pourtant la question essentielle était : pourquoi le président de l’époque, Roch Marc Christian Kaboré, a-t-il fait appel à une société israélienne pour déstabiliser l’institution suisse et le collectif burkinabè ? Parce qu’ils voient ce que personne n’est supposé voir et savoir ?

A la fin de son communiqué, le CISC « exige l’ouverture d’une enquête judiciaire indépendante et impartiale sur ces crimes graves », c’est son rôle, mais n’est-ce pas vain ? Où en sont les investigations sur les précédents massacres Yirgou, Banh, Kaïn, Arbinda, Tanwalbougou, et tant d’autres moins importants en termes de nombre mais tout aussi tragiques ?

Ce nouveau drame survient deux mois et demi après celui de Nouna dont le bilan était d’au moins 86 morts, tous Peuls. Déjà, hormis le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme personne, pas un membre du Conseil de Sécurité n’avait exprimé sa préoccupation, ni même présenté de condoléances. Après Rollo, le silence est pire encore, lourd, pesant, insupportable, inadmissible. Où sont-ils tous ? Où est l’Union africaine ? La Cedeao ? Le 24 février, après des vidéos particulièrement macabres montrant des meurtres d’adolescents ligotés circulants sur les messageries privées, l’organisation sous-régionale s’est fendue d’un communiqué nébuleux disant ignorer l’endroit précis mais « estimer » que « l’incident » (sic) avait eu lieu « dans l’espace Cedeao ». Enfin l’institution rappelait que le « meurtre de civils est un crime de guerre et que les auteurs de ces crimes odieux seront poursuivis conformément à la loi. ». Encore faudrait-il que des enquêtes sérieuses soient menées à leur terme. Pourquoi ne pas nommer le lieu de l’horreur : Ouahigouya province du Yatenga, Burkina Faso, qu’ils connaissent forcément ? Pourquoi ces pudeurs de violettes pour dénoncer l’inacceptable ? Et pourquoi se taire sur Rollo ?

« Le silence a le poids des larmes » écrivait Aragon, il devrait peser infiniment lourd et longtemps...

Leslie Varenne

 

COMMUNIQUE DE PRESSE

 

Le Collectif contre l’Impunité et la Stigmatisation des Communautés (CISC) a été saisi, pour des cas d’allégations de tortures, d’exécutions extrajudiciaires de civils qui auraient eu lieu, le 8 mars 2023, vers 9 heures dans le village de Toessin-Foulbè, commune de Rollo, province du Bam, région du Centre Nord. Toessin-Foulbè est un village de près de 340 habitants.

Les présumés auteurs de ce massacre seraient assimilés à des éléments de Forces de Défense et de Sécurité (FDS) et à des éléments des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP).

A l’heure actuelle, le bilan serait de 20 morts dont une femme et trois (03) enfants. Sept (7) femmes seraient blessées et trois (3) personnes sont portées disparus.

Selon des informations collectées et corroborées par au moins cinq (5) sources différentes, ce serait plus d’une centaine de membres des FDS et des VDP, vêtus de treillis militaires, tous encagoulés et armés, qui auraient fait une descente dans ledit village, à bord de plusieurs pick-up et de motos.

Ils ont regroupé et fait asseoir dans un endroit, entre les concessions, les habitants du village (hommes, femmes, enfants). Puis, ils ont fouillé toutes les maisons, sans trouver d’armes à feu ni tout autre objet suspect. Ils ont mis le feu aux maisons, greniers et ont abattu des animaux.

Quelques minutes plus tard, les auteurs ont extirpé toutes les personnes de sexe masculin, au nombre de 19, qu’ils ont fusillé, à quelques mètres des concessions. Parmi les victimes, figure une femme qui se serait opposée à l’exécution de son fils. Selon les témoignages, elle a rejoint le lieu d’exécution, en demandant d’être tuée à son tour. Ce fut malheureusement le cas. Cette femme aura ainsi donné sa vie pour contester des exécutions extrajudiciaires.

Les corps ont été jetés dans la nature, à environ 100 mètres des concessions et à côté d’un bas-fond. Selon les témoignages, les auteurs auraient interdit l’enterrement des corps avant de répartir.

Toutes les victimes, à l’exception de deux hommes, sont d’ethnie peule. Les deux victimes d’ethnie mossi sont, respectivement un petit fils du chef peul du village et l’autre un commerçant ambulant de passage. Des femmes ont été torturées dans le but qu’elles disent où se cachent des terroristes et les armes, choses qu’elles ignorent. Cela a créé de graves blessures, de séquelles physiques et psychologiques à sept (07) d’entre elles. Il est opportun de rappeler que les habitants et les leaders communautaires de Rollo ont toujours fait la promotion du vivre ensemble. Cette commune n’avait jamais connu d’attaque armée depuis le début de la crise sécuritaire.

Au regard de tout ce qui précède, le CISC : - Condamne fermement de tels actes criminels ; - Condamne toutes les attaques terroristes qui ne sauraient justifier de telles réponses criminelles ; - Rappelle au gouvernement Burkinabè que de tels actes sont en violation non seulement de notre législation nationale, mais aussi des engagements internationaux ratifiés par l’Etat Burkinabè ;

- Rappelle que l’extermination ethnique ne saurait être une solution efficace à la lutte contre le terrorisme ;

-Invite les autorités à un respect des droits de tous les burkinabè sans exception tout en garantissant la présomption d’innocence à tous; 

- Encourage les FDS qui se battent nuit et jour au péril de leurs vies pour protéger les populations civiles, tout en les invitant à exécuter leurs missions conformément aux codes républicaines ;

- Exige l'ouverture d'une enquête judiciaire indépendante et impartiale sur ces crimes graves qui sont de nature à ternir l'image du pays.

Pour le Bureau Exécutif National : Dr Daouda DIALLO - Lauréat du Prix Martin Ennals (Prix Nobel des DDH) - Chevalier de l'Ordre de l'Etalon

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afrique de l'ouest