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« House of - Ukrainian - Cards »

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07 octobre, 2016
Note
Bruno Husquinet


Près de trois ans après le début des tensions ayant amené un changement de régime en Ukraine, quelques événements clefs de ces dernières semaines nous donnent le pouls de la situation à Kiev, en Crimée et à l'Est du pays. Tout d'abord, dans le cadre de la réunion de l'assemblée générale de l'ONU, la visite du président Porochenko aux Etats-Unis a été fructueuse. D'une part, il est revenu avec les promesses de prêts du FMI et des Etats-Unis, mais aussi avec un potentiel renforcement de l'aide militaire grâce à l'Acte de Stabilité et de Démocratie pour l'Ukraine, passé par le congrès au moment de la visite présidentielle. D'autre part, le Président ukrainien a consolidé le soutien du concert des nations, hormis les non-alignés, bien entendu.

Ensuite et malgré les divisions internes grandissantes, l'Union Européenne (UE) a reconduit les sanctions individuelles liées à la Crimée. Les sanctions économiques, véritable enjeu dans la stratégie transatlantique, seront quant à elles, remises au vote en fin d'année. Cependant, ce système de sanctions vient de prendre un coup suite à la décision de la Cour de Justice de l'UE en faveur de l'ex-président Yanukovych. « Le Tribunal de l'UE confirme le gel de fonds de trois Ukrainiens dont M. Viktor Yanukovych, ancien président de l'Ukraine, pour la période allant du 6 mars 2015 au 6 mars 2016. Il annule cependant le gel de fonds pour la période allant du 6 mars 2014 au 5 mars 2015 pour non-respect des critères d'inscription. » Concrètement, les comptes restent gelés, mais un point a été marqué par M. Yanoukovych dans une bataille loin d'être gagnée car l'enquête sur les détournements de fonds d'Etat piétine.

A Bruxelles toujours, les pays membres de l'OTAN maintiennent leur soutien à l'Ukraine notamment au niveau de la formation et du traitement médical de plus de 500 soldats ukrainiens blessés lors du conflit, comme l'indique Yehor Bozhok, chef de la mission ukrainienne auprès de l'OTAN. Selon lui, Kiev pourrait obtenir bientôt un statut intermédiaire avant la pleine intégration au sein de l'Alliance atlantique. Ces développements font suite au paquet d'aide obtenu lors du récent sommet de Varsovie.

En outre, ce rassemblement derrière l'Ukraine a été confirmé lors du 13ème forum YES, le Yalta European Strategy. Quatrième événement important de ce mois de septembre, ce forum constitue un lieu de discussion informelle, mais néanmoins majeure sur les enjeux stratégiques mondiaux. La liste des centaines d'invités est très impressionnante : hommes d'affaires, politiques et journalistes, y compris russes. Outre Elton John et Kevin Spacey, l'acteur principal de la série House of Cards, les participants y ont croisé Manuel Barroso, Carl Bildt, Patrick Cox, Robert Gates, Newt Gingrich, Leon Panetta, Anders Rasmussen, aujourd'hui conseiller auprès du président Porochenko, et Dominique Strauss-Khan. Ce dernier est entré en février 2016 au conseil de surveillance[5] de la banque Kredit Dnepr appartenant à l'oligarque ukrainien Viktor Pinchuk, également fondateur du forum YES. Dominique Strauss-Khan est un fin connaisseur de la région puisqu'il siège aussi au conseil de surveillance du fonds d'investissement russe RFPI aux côtés du ministre russe des finances, du ministre russe du développement économique et de la présidente de la banque nationale russe. Cette passion de Dominique Strauss Khan pour la région et le forum n'est, par ailleurs, pas nouvelle, car, c'est là qu'en 2007, l'idée de prendre la tête du FMI a germé lors d'une discussion avec Stéphane Fouks et Pierre Lellouche.

Lors de la séance de clôture du forum, les panélistes ont prédit la continuité en Ukraine. Seul l'un d'entre eux a inscrit Kiev sur sa liste de crises à observer car, selon lui, la corruption reste l'ennemi n°1 à haut potentiel déstabilisateur. Comme le souligne le Kyiv Post, aucune personne suspectée de corruption n'a été conduite devant les tribunaux ukrainiens depuis la révolution, ce qui signifie un manque de plus de 10 milliards de dollars dans les caisses de l'Etat. Outre ce manque de rentrées, les investissements étrangers restent timides. Intervenant au forum, le CEO de la société pétrolière Vitol, Ian Taylor a indiqué que les investisseurs hésitaient à s'engager en Ukraine à cause du frein bureaucratique. Cette allocution fait montre d'une sage prudence alors que sa société vient d'être condamnée pour détournement dans le programme onusien « pétrole contre nourriture » en Iraq. C'est également ce géant du négoce de pétrole qui n'hésita pas à signer un contrat avec les rebelles libyens au début du conflit en 2011, comme le rappelle Bloomberg. En réalité, le discret et puissant Ian Taylor en appelle simplement à plus de dérégularisation dans le secteur énergétique ukrainien.

Alors que le forum de Yalta se refermait à Kiev, les bureaux de vote pour les élections parlementaires russes s'ouvraient en Crimée ce 18 septembre. Ce cinquième événement majeur n'apporta aucune surprise puisque les élections ont été remportées par  Russie Unie, le parti créé par Vladimir Poutine. Cependant, de nombreuses voix dont Washington et Ankara, se sont élevées contre la légitimité de la tenue d'élections en Crimée. Allant plus loin, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères ukrainiennes a déclaré que « la légitimité même de la Douma était mise en doute ». Ainsi, la question criméenne reste une pomme de discorde au niveau diplomatique, mais sans véritable effort concret afin d'y trouver une réponse. Le pragmatique Joe Biden a récemment déclaré à Washington que l'« on a déjà perdu ce morceau de territoire en Crimée », même si le congrès américain vient d'avaliser l'Acte de Stabilité et Démocratie afin de préserver l'intégrité territoriale ukrainienne !

Sur les derniers événements concernant le conflit dans l'Est, premièrement, le groupe chargé de l'enquête criminelle concernant le crash de l'avion de la Malaysian Airlines a publié ses résultats préliminaires lors d'une conférence de presse à Nieuwegein, aux Pays-Bas. Ce 28 septembre, le groupe de spécialistes australiens, belges, hollandais, ukrainiens et malaisiens a déclaré avoir les preuves selon lesquelles l'avion avait été touché par un missile BUK « tiré depuis un champ près du village de Pervomaisky, sous contrôle rebelle au moment des faits. » Les enquêteurs internationaux ajoutent que le système BUK aurait été transporté depuis la Russie. A présent, l'enquête se poursuit afin de trouver les responsables de la mort de 300 civils. En Ukraine, en Afghanistan ou en Syrie, les civils et lieux civils, comme les hôpitaux ou convois humanitaires, sont de plus en plus touchés dans ces conflits. Comme le soulignait Stephen Sackur de la BBC lors de la clôture du forum YES, l'un des trois dangers de l'année réside dans le duo « peur et mensonge ». Effectivement, les médias relayent les accusations contradictoires des belligérants forçant le public à se forger une opinion idéologique et non factuelle. En réalité, seul un tribunal légitime a le pouvoir de prononcer un verdict après avoir entendu les accusés. Dans ces conditions, l'Etat de droit et la confiance constituent l'antidote aux « peur et mensonge ». Ils permettent notamment de garder en vie le processus de Minsk. En effet, le 21 septembre à Minsk, l'OSCE est parvenue à négocier un accord de désengagement des forces entre les parties au conflit. Ce dernier événement est une touche d'espoir obtenue après des mois de discussions.

Ces événements importants du mois de septembre permettent donc de faire le point sur les trois réalités régionales coexistantes : Kiev, la Crimée et les régions auto-proclamées indépendantes. Les panélistes du forum YES ont probablement raison quant au futur géostationnaire du contexte. A l'Ouest, Kiev avance à petits pas sur le chemin des réformes, en se rapprochant de l'UE. Au Sud, la Crimée poursuit son histoire en Russie, entérinant, par là même, son statut de région rattachée/annexée. Et enfin, le Sud-Est de l'Ukraine vivote dans une paix relative tant que son statut ne sera pas déterminé.

Si l'on peut faire un vœu, c'est qu'une véritable approche globale réconcilie ces trois réalités. Le récent accord de désengagement sous les auspices de l'OSCE ravive cet espoir. Mais ce vœu ne se réalisera que si la situation en Syrie n'amène pas de rupture de relations diplomatiques entre l'Occident et la Russie, ce dont l'Ukraine serait à nouveau victime.

 


 
Bruno Husquinet