La France peut-elle retrouver une politique étrangère indépendante ?
Compte-rendu d’événement
Colloque organisé le 21 mai 2015 à l'Assemblée Nationale par le député Jacques Myard. Le thème de ce colloque était : la France peut-elle retrouver une politique étrangère indépendante ?
Un monde sans pilote ?
Sommes-nous vraiment dans un monde sans pilote ? Il est coutume de constater, à plus forte raison, qu'un véritable bouleversement du monde se produit sous nos yeux : la géopolitique est devenue un exercice interminable de décryptage sur une cible en constant mouvement dans un environnement aléatoire. Parallèlement au déclin de la puissance américaine, nous assistons à la montée de la Chine et des autres soi-disant émergents, ainsi qu'à la réaffirmation de la Russie sur la scène internationale. Une montée, une émergence et une réaffirmation qui s'accompagnent, dans chacun des cas, d'un attachement marqué à la souveraineté nationale. Dans le même temps la France, de par sa réintégration au sein du commandement intégré de l'Otan, pour ne citer que cet exemple, assume de plus en plus ouvertement son choix de relativiser son indépendance. Notre pays semble avoir choisi de s'arrimer à un acteur déclinant, et ce au moment même où les plus anciens alliés-vassaux de celui-ci commencent sérieusement à se poser des questions quant à leur avenir. Reconnaissons que c'est un choix audacieux !
Pour autant et pour quelques temps encore les Etats-Unis restent la plus grande puissance, même si leur fameux « leadership » donne l'impression d'une conduite à l'aveugle, sans cap ni boussole. Avec comme seul mot d'ordre le souci de garder leur place, ce qui les pousse à une alternance instable de crispations et de fuites en avant. Par conséquent, plutôt que d'un monde sans pilote, il serait sans doute plus exact de parler d'un monde sans contrôle.
Ce monde sans contrôle est l'environnement idéal pour les acteurs transnationaux, dont certains s'enfoncent dans les brèches ouvertes par les Etats, pour promouvoir leur propre agenda. La question des groupes industriels stratégiques apparaît à la fois emblématique et urgente. Pour illustration, rappelons les propos de Thomas Enders, le PDG d'Airbus, qui a récemment déclaré dans un entretien : « Nous ne sommes plus franco-allemand ou germano-français, nous sommes globaux. » Cette phrase surprenante est passée curieusement totalement inaperçue. Pourtant elle est lourde de sens.
Dans cette logique, Airbus, acteur stratégique de l'aéronautique et de la défense n'est plus un conglomérat franco-germano-espagnol, il n'est la propriété de personne, et il ne rend compte à personne sauf à son PDG et à ses actionnaires (qui sont désormais flottants à presque trois quarts). Ce sont ces acteurs sans aucun ancrage ni aucune légitimité démocratique qui, par un curieux renversement des rôles, décident de la politique stratégique des Etats qu'ils les avaient pourtant créé et soutenu. Faut-il rappeler que la flotte d'Airbus est constituée d'avions conçus par l'Aérospatiale ? La direction d'Airbus tient tellement à cette image globale qu'ils ont changé le nom d'EADS en Airbus, justement pour supprimer le mot européen, jugé sans doute désormais trop provincial. Dans l'espoir aussi de lui faciliter ainsi une probable ouverture sur le marché de la défense américaine.
Probable mais pas certaine. Car si les Etats-Unis prônent un système de gestion déréglementée, apolitique au niveau international, ils pratiquent le plus pur des protectionnismes pour leurs propres industries de défense. Et ils ont raison. Mais nos capitaines d'industrie convertis en financiers-gestionnaires récitent leur partition, basée sur la nouvelle Sainte Trinité de l'ouverture-efficacité-compétitivité, afin de justifier à la fois leur tropisme atlantiste et leur manque d'humilité. Que penser en effet de l'autre grand dossier du moment ? La vente des activités Energies d'Alstom à General Electric par la seule décision de son PDG Patrick Kron, sans que le gouvernement n'en ait été informé, comme l'ont reconnu devant l'Assemblée Nationale les ministres concernés, Arnaud Montebourg et Emmanuel Macron. Racket américain et démission d'Etat comme nous l'avons dénoncé dans un rapport du CF2R écrit avec Eric Denécé. Dans quelques mois, les activités stratégiques d'Alstom comme le nucléaire seront dans les mains des Américains avec toutes les conséquences que cela implique, en termes de perte d'indépendance et de perte de marchés.
Ces exemples sont une tendance aussi pernicieuse qu'inexplicable. De par sa tradition d'indépendance sur la scène internationale et par ses atouts, humains, industriels et technologiques, notre pays pourrait être à l'avant-garde des changements en cours sur l'échiquier mondial. A moins que ses dirigeants s'acharnent à renier sa tradition et à dilapider ses atouts, au prétexte qu'il n'y aurait pas de choix.
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jacques myard, assemblée nationale