Les vents tournent
Note d'actualité
Partie 2: Azerbaïdjan, pas de changement et détérioration des relations
La relation entre l'UE et l'Azerbaïdjan débute en 1999 lors de la signature d'un Accord de Coopération et de Partenariat. Ensuite, l'UE lance sa politique européenne de voisinage (PEV) en 2004 afin de tisser des liens avec les pays au sud et à l'est de l'UE. Cette politique a été révisée la semaine dernière, sans changement notable. C'est dans ce cadre que l'Union signe un accord avec l'Azerbaïdjan en 2004, suivi d'un plan d'actions ambitieux en 2006. Au sein de la PEV, un partenariat spécial est inauguré en 2009 pour les voisins de l'Est, c'est le partenariat oriental, au sein duquel se retrouve l'Azerbaïdjan avec 5 autres pays. Ce cadre d'accord régional vise à renforcer les échanges commerciaux et la démocratie dans ces pays. L'Euronest en est l'Assemblée parlementaire.
Coup d'œil en arrière
A la fin des années 1990, les violences au Nord Caucase (Daghestan, Tchétchénie, Ingouchie) reprennent. Ces événements influenceront la décision de faire transiter le pétrole et le gaz par le sud Caucase, jugé plus stable. Néanmoins, la Géorgie a connu plusieurs conflits internes après son indépendance. Ensuite, la révolution des roses a amené M. Saakashvili au pouvoir en 2004. En 2008, le bref conflit en Ossétie du Sud éclate, ramenant la région dans le giron russe.
Les relations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan ont toujours été tendues suite au conflit du Haut Karabakh. Les violences se sont ravivées au cours de la dernière année, laissant des dizaines de morts des deux côtés de la ligne de front.
Ainsi, le Sud n'offrait pas plus de stabilité que le Nord. En réalité, les pipelines du Sud Caucase permettaient de contourner la Russie en évitant de lui donner un atout supplémentaire sur l'échiquier énergétique. En outre, l'Azerbaïdjan offrait une route alternative, toujours sur le flanc sud russe, afin d'acheminer les hydrocarbures d'Asie Centrale.
Changement des règles du jeu
Le début des années 2000 sont fastes sur le plan politique et économique. La construction des pipelines pétrolier et gazier, les investissements et les ambitions ont permis à l'Azerbaïdjan de se développer rapidement et de s'enrichir. Il y a 10 ans, le prix du pétrole élevé et la perspective de faire transiter un million de barils par jour ont amené beaucoup d'Etats et de sociétés à courtiser Bakou. Les problèmes de liberté de parole et de pluralisme n'étaient soulevés que du bout des lèvres. Néanmoins, l'adage selon lequel les prévisions dans le monde des hydrocarbures correspondent rarement à la réalité, s'avère à nouveau vrai. En Azerbaïdjan, il semble que les ressources soient très inférieures à ce que les investisseurs espéraient. Aujourd'hui, avec un prix du pétrole au plancher et un maigre 400 000 barils/jour, le régime fort du clan Aliyev, au pouvoir depuis 1993, devient un mauvais élève. Les promesses ne se matérialisent pas et les investissements n'ont pas offert de véritable diversification des sources d'approvisionnement énergétique vers l'Europe. L'Azerbaïdjan exporte vers l'UE seulement 2% de sa consommation. Depuis 2012, les investissements stagnent devant les incertitudes liées à la Turquie, la Syrie, l'Ukraine et le Caucase où les guerres font rage. Les pertes engendrées par l'abandon de projets, tel que South Stream, sont élevées. A travers toute la région, le coût humain est énorme avec des milliers de personnes qui se retrouvent au chômage en ces heures de crise économique. Devant ces pertes, les sociétés pétrolières justifient leur discret retrait par le prix bas du pétrole.
Le fou du roi : les droits de l'homme
L'Occident a toujours été très laxiste en matière de démocratie envers son ami pétrolier de Bakou. Suite aux élections présidentielles de 2003 et aux élections parlementaires de 2010, l'opposition a été muselée et de nombreuses arrestations ont été effectuées. Mais ce n'est que depuis deux ans que les accusations sont débridées et que le monde découvre les violations des droits de l'homme en Azerbaïdjan : arrestations arbitraires, torture, manque de libertés publiques et corruption. Pourquoi ces questions apparaissent-elles sur la place publique, avec autant de vigueur, seulement maintenant ? Depuis le milieu 2015, les confrontations se multiplient entre l'Azerbaïdjan et l'Occident devenu ouvertement critique. En mai 2015, la république d'Azerbaïdjan annonce qu'elle refuse de signer l'accord d'association avec l'UE, en cours de négociation depuis 2010, car dit-elle, son intégrité territoriale n'est pas respectée suite à « l'occupation » du Haut Karabakh par l'Arménie. Au sein du partenariat oriental, l'Azerbaïdjan refuse de s'associer aux vilipendeurs de la Russie lors du sommet de Riga. Le même mois, les autorités azéries mettent un terme à leur collaboration avec l'OSCE qui doit fermer ses bureaux. Un mois plus tard, la plupart des dirigeants occidentaux déclinent l'invitation de participer à l'ouverture des premiers jeux olympiques européens. Lorsque le représentant de la diplomatie suisse, Didier Burkhalter, se rend pour participer à la cérémonie, il ramène dans son avion Emin Huseynov, un journaliste et activiste qui s'était réfugié dans l'ambassade suisse depuis une dizaine de mois. Cette opération fut le fruit de longues négociations entre les deux Etats. En septembre 2015, le parlement azéri suspend sa participation à l'assemblée parlementaire des pays du partenariat oriental, Euronest, après avoir déjà refusé de participer à la réunion de printemps car elle se tenait en Arménie.
La riposte arrive et le Parlement européen vote une résolution qui interdira l'envoi d'une mission d'observation aux élections parlementaires de novembre 2015. De leur côté, l'UE et l'OSCE, dont la mission à Bakou a été fermée, refusent également d'envoyer des observateurs. Néanmoins, l'assemblée parlementaire du conseil de l'Europe (PACE) participera avec des missions d'observation, comme celle d'Italie, de pays de la CEI, de l'organisation pour la coopération islamique et des dizaines d'autres observateurs indépendants comme l'ESISC.
Contre toute attente, le vote a été satisfaisant. Malgré les gesticulations des mois précédents, les élections semblent satisfaire les observateurs, comme l'indique la déclaration de PACE dont la mission « a constaté que le vote était satisfaisant et généralement conforme aux normes internationales. » Néanmoins, une certaine presse a décidé de mettre l'accent sur les problèmes plutôt que sur les aspects positifs. La BBC titrait « le parti dominant l'emporte sur fond de boycott ». Même son de cloche à l'agence Reuters qui cite un opposant politique selon lequel «les élections se sont déroulées dans un environnement non démocratique. »
Et demain ?
Même si le parti du président Aliyev, Nouvel Azerbaïdjan, a remporté les élections, les temps à venir ne seront pas faciles. D'une part, le pays est mis sur le banc des accusés pour violation des droits de l'homme depuis que l'investissement géostratégique s'avère à faible rendement. D'autre part, la situation économique est atone. Les autorités ont coupé dans les dépenses publiques et plongent dans leurs réserves pour maintenir le manat, la monnaie nationale.
Malgré tout, l'UE ne peut pas se permettre d'abandonner complètement l'Azerbaïdjan pour de nombreuses raisons. Tout d'abord, l'Azerbaïdjan n'a pas dit son dernier mot en matière énergétique, notamment avec le projet de corridor gazier sud, réseau de gazoducs qui devrait permettre l'exportation des ressources d'Asie Centrale et du Moyen Orient vers les marchés européens. C'est dans ce cadre qu'il faut lire la levée de sanctions à l'encontre de l'Iran, comme l'explique clairement Noémie Rebière dans son excellent article sur les enjeux du corridor gazier sud-européen.
Ensuite, l'Azerbaïdjan est avec l'Ukraine le plus grand partenaire commercial du chancelant partenariat oriental, mais c'est le seul Etat à avoir une balance commerciale en sa faveur, avec 9,677 millions d'euros en 2014 selon EUROSTAT. De part sa position géographique, l'Azerbaïdjan est un pays incontournable. Pays musulman chiite, il a une longue histoire avec l'Iran et la Russie. Culturellement et linguistiquement, il est également lié au monde turc. Finalement, un éloignement de l'UE irait de pair avec un rapprochement avec la Russie, même si la relation Moscou-Bakou est compliquée.
L'Azerbaïdjan conserve des atouts géopolitique et gazier à l'égard de l'UE. C'est donc un nouvel équilibre qui s'installe, au sein duquel les violations du régime Aliyev pèsent plus lourd aujourd'hui que son pays n'est plus l'allié pétrolier escompté. En ces heures de changement, il n'est pas surprenant que les têtes, de certains ministres dont celui de la sécurité ou des communications, tombent à Bakou alors que le pays doit s'adapter à ce nouvel équilibre.
voisinage oriental