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Les États-Unis réitèrent leurs ambitions

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27 janvier, 2018
Tribune libre
Jean-Luc Baslé


Il existe de nombreuses idées fausses à l'égard des Etats-Unis. Suite à l'élection de Donald Trump à la Maison Blanche, deux méritent que l'on s'y attarde. Ils seraient isolationnistes et bienveillants. C'est la vision qu'en ont les Européens. Les pays d'Amérique du sud qui vivent sous leur joug depuis deux cents ans, en ont une autre. La vision européenne est née de leur intervention tardive dans la Première Guerre mondiale et de leur politique extérieure à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La réalité est tout autre que l'image d'Épinal véhiculée par ces souvenirs. Dès l'origine, l'élite américaine s'estime dotée d'une mission à l'égard du monde qui soustend toujours la politique extérieure des États-Unis. On la retrouve dans deux documents publiés récemment : le National Security Strategy et le National Defense Strategy. L'un et l'autre réitèrent l'ambition hégémonique des États-Unis ce qui, du même coup, rend impossible toute paix négociée avec la Russie et la Chine. Cette vision est intrinsèquement dangereuse. En voici les origines et l'évolution au cours du temps. 

 

Les États-Unis entretiennent une relation bilatérale avec le monde. George W. Bush l'a parfaitement exprimé dans son discours du 21 septembre 2001: « vous êtes avec nous ou vous êtes contre nous…». Le message est univoque. Il n'est pas nouveau. Dans son discours inaugural, Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis, se prononce contre les « alliances enchevêtrées ». Les Européens en concluent un peu vite que la jeune république est isolationniste. Erreur. La Déclaration d'indépendance, rédigée par le même Jefferson, affirme l'universalité des valeurs américaines. Elle tire cette prétention du siècle des Lumières et des pèlerins du May Flower qui voulaient bâtir une nouvelle Jérusalem. Très rapidement, cet universalisme se mue en ambitions hégémoniques. La guerre de 1812 est une guerre de conquête.

A peine remis de la guerre d'Indépendance, alors même qu'ils n'ont pas encore repayé les dettes contractées à cette occasion, les États-Unis se lancent à la conquête du Canada. Le général Andrew Jackson qui deviendra le septième président, exprime clairement les ambitions de la jeune république lorsqu'il déclare, que ses hommes sont animés d'une ambition égale à celle de Rome.

Puis, ce sera la doctrine de Monroe et la destinée manifeste (Manifest Destiny) qui donneront naissance à « l'exceptionnalisme américain » auquel Barack Obama se référera dans l'un de ses discours à l'ONU. Entre-temps, les États-Unis ont déclaré la guerre au Mexique et s'approprient un tiers de son territoire pour former les états du Texas, de l'Arkansas et du sud de la Californie. Plus tard, ils prennent prétexte d'une explosion à bord de l'USS Maine dans le port de la Havane – explosion qu'ils ont eux-mêmes provoquée – pour déclarer la guerre à l'Espagne et s'emparer de Cuba et des Philippines. Les États-Unis sont devenus une puissance coloniale.

 

Première et deuxième guerres mondiales

A l'aube de la première guerre mondiale, ils en sont là. Ils sortent de la crise économique de 1907, et ne veulent pas être impliqués dans une guerre européenne. Pour assurer sa réélection, Woodrow Wilson a pris pour slogan « America First »! Sur les champs de bataille, 1916 est une année meurtrière et indécise. Si les alliés gagnent, les Américains savent que ni la Grande-Bretagne ni la France ne constituent une menace à leurs ambitions dans le Pacifique. En revanche, si le Kaiser l'emporte, ils seront confrontés à une puissance transcontinentale au cœur de l'Europe qui, pour les raisons décrites par le géographe britannique Mackinder, peut faire obstacle à leurs ambitions. Pour les dirigeants américains, conscients d'être à la tête de la première puissance économique et désireux d'en tirer profit, cette éventualité est inacceptable. La révélation, par les services secrets britanniques, du télégramme de Zimmerman, ministre des Affaires étrangères du Kaiser, à son ambassadeur à Mexico, proposant une alliance aux Mexicains pour récupérer les territoires perdus jadis, les convainc d'entrer en guerre.

Dans l'entre-deux guerre, ils s'isolent de l'Europe. Les plans Dawes et Young n'ont d'autre but que de garantir le repaiement des dettes de guerre de leurs alliés. Dans les années 30, empêtrés dans une crise économique dont ils ne savent comment en sortir, ils adoptent une politique protectionniste avec le Smoot-Hawley Act qui aggrave les difficultés économiques de l'Europe. Puis, leurs grandes entreprises (General Electric, Standard Oil, Ford, ITT, etc.) facilitent par des accords avec des sociétés allemandes (I.G. Farben, Thyssen, etc.) la mainmise d'Hitler sur l'Allemagne. Hitler était alors perçu comme un rempart contre le communisme et l'URSS. Cette coopération ne se comprend que si l'on sait que dans le même temps Wall Street ourdissait un complot pour renverser Franklin Roosevelt, perçu comme un socialiste. Approché pour en prendre la direction, le général Smedley Butler refusa. Il écrira plus tard un pamphlet au titre évocateur : « War is a racket ».

 

L'impérialisme américain

C'est Hitler qui déclare la guerre aux États-Unis le 11 décembre 1941, et non l'inverse, comme beaucoup le croit. Il espérait inciter les Japonais à déclarer la guerre à l'Union soviétique. Prudents, ceux-ci s'en gardèrent.

Sortis victorieux de la seconde guerre mondiale, grâce en partie aux énormes sacrifices humains de l'armée soviétique, désireux de ne pas répéter les erreurs de l'entre-deux guerre, les États-Unis renoncent aux réparations de guerre et organisent, dès l'été 1944, une réunion à Bretton Woods dans le New Hampshire pour jeter les bases de l'architecture économique de l'après-guerre. Contrairement à une idée reçue, il ne s'agit pas d'une action bénévole mais d'une initiative destinée à contrôler l'Europe et l'Asie du sud-est pour éviter une nouvelle guerre et assurer des débouchés à leur agriculture et à leur industrie ce que le Plan Marshall fera superbement. Désorganisés et ruinés, Européens et Japonais se soumirent d'autant plus volontiers que la menace soviétique planait au-dessus d'eux. Le traité de l'Atlantique nord avec son bras armé l'Otan, signé en 1949, et le traité de l'Asie du Sud-Est, signé en 1954, leur accordèrent la protection américaine qu'ils souhaitaient. Le bilatéralisme américain s'est mué en impérialisme.

Avec les accords de Bretton Woods, les États-Unis se sont convertis au libre-échangisme qui alors sert leurs intérêts. Leur fibre économique est protectionniste. Derrière le conflit racial de la guerre de Sécession se cache une lutte de pouvoir entre un Nord industriel, protectionniste en pleine expansion, et un Sud agricole, libre-échangiste et sclérosé. Le Nord l'emportera et l'industrie américaine se développera à l'ombre des tarifs douaniers. En ce domaine, les États-Unis suivent l'exemple de la Grande-Bretagne qui devint libre-échangiste quand ses intérêts le commandèrent : suite à la révolution industrielle et à la conquête de l'Inde.

Dans les années de l'immédiat après-guerre, la Grande-Bretagne représentait pour les États-Unis, avec la livre sterling et son empire, un concurrent potentiel sérieux qu'il convenait d'éliminer. Les États-Unis qui n'avaient pas demandé de réparations de guerre à l'Allemagne, exigèrent de la Grande-Bretagne qu'elle rembourse ses dettes de guerre en totalité et qu'elle maintienne la livre sterling à sa parité d'avant-guerre – cette surévaluation fit perdre à la livre son auréole vieille de cent cinquante ans et détruisit l'équilibre de la balance commerciale du pays. Cela contribua à tuer toute velléité impériale que Londres pouvait encore caresser. Les Britanniques ont payé au prix fort leur « relation spéciale » avec les États-Unis.

 

Donald Trump, l'apostat...

Donald Trump estime l'architecture géopolitique mise en place à la fin de la guerre obsolète, lourde et coûteuse. Il l'assimile aux alliances enchevêtrées de Jefferson et souhaite la remplacer par des traités bilatéraux qui seront nécessairement profitables aux États-Unis en raison de leur puissance politique, économique et militaire. Il se retire donc du Partenariat transpacifique, refuse de réaffirmer l'adhésion des États-Unis à l'article V de l'Otan qui lie les signataires en cas d'agression de l'un d'entre eux, se désengage de l'accord de Paris sur le climat et reconnaît Jérusalem comme capital d'Israël. Si l'on exclue cette dernière décision qui s'inscrit dans un cadre particulier, sa politique remet en cause l'architecture de l'après-guerre et ses institutions internationales. C'est un retour au protectionnisme américain. S'il se réalise, ce schéma créera un chaos mondial avec pour seuls points d'ancrage les États-Unis et le dollar. Pour l'Establishment, c'est une apostasie, apostasie d'autant plus grande qu'elle inclut un désir de normaliser les relations avec l'ancien ennemi, la Russie. Or, le complexe militaro-industriel a besoin de cet ennemi pour justifier les budgets de la défense, d'où la diabolisation constante de Vladimir Poutine.

Le National Security Strategy, et le National Defense Strategy, publiés respectivement en décembre 2017 et janvier 2018, reconnaissent implicitement le déclin américain. La Russie et la Chine sont désormais des concurrents. Ce sont des puissances « révisionnistes » accusées de vouloir imposer leur modèle autoritaire au reste du monde. L' Iran et la Corée du Nord demeurent des états voyous. Les deux documents recentrent la stratégie de défense sur les concurrents russe et chinois. Le second, rédigé par le Pentagone, admet tacitement que les guerres de ces quinze dernières années au Moyen-Orient n'ont pas donné les résultats attendus. Il est intéressant de noter qu'en dépit d'une faiblesse relative et reconnue, les dirigeants américains n'hésitent pas à menacer leurs adversaires. Dans un discours à la Johns Hopkins University, James N. Mattis, ministre de la défense et ancien général, déclare à leur adresse : « si vous nous défiez, ce sera votre jour le plus long et le plus triste ».

Dans un troisième document, la Nuclear Posture Review, qui doit être publié prochainement, le Pentagone élargit la définition des          « circonstances extrêmes » justifiant l'utilisation préventive de l'arme nucléaire en réponse à une attaque conventionnelle. Il y inclut les attaques cybernétiques, sans les mentionner nommément. A cette politique inquiétante qui multiplie les raisons de recourir à l'arme nucléaire, s'ajoute leur miniaturisation qui en facilite l'usage, en effaçant la différence de nature qui les sépare des armes conventionnelles. Dans un sophisme propre aux penseurs du Pentagone, le document soutient que loin d'abaisser le seuil d'utilisation de l'arme nucléaire, cette extension de l'utilisation de l'arme nucléaire la relève en dissuadant quiconque d'attaquer les États-Unis avec des armes conventionnelles. Cela rappelle la politique du chien enragé, « mad dog », de Richard Nixon alors qu'il intensifiait la guerre au Vietnam.

Pour autant, les États-Unis veulent-ils la guerre ? Non, ils souhaitent la soumission et non la destruction de leurs concurrents qui serait aussi sans doute la leur. Pour y parvenir, ils emploient la menace, le bluff et le mensonge. Les propos de James Mattis font allusion à Hiroshima et à Nagasaki, et sont un rappel du traitement infligé à la nation qui ose s'en prendre aux États-Unis. Ronald Reagan fut probablement le seul à croire à la Guerre des étoiles qui n'était qu'un formidable bluff pour entraîner l'Union soviétique dans une course à l'armement. Cette course détruisit son économie et précipita sa chute. La promesse de James Baker, ministre des Affaires étrangères de George Bush père, que l'Otan n'avancerait pas d'un pouce à l'Est après la réunification de l'Allemagne, est un mensonge que Mikaël Gorbatchev eut la faiblesse de croire.

 

Le complexe militaro-industriel

Le complexe militaro-industriel ne veut que les profits qu'il retire de la préparation à la guerre. Le budget de la défense de 2018 s'élève à 700 milliards de dollars. Ce chiffre est égal à la somme des budgets des neufs budgets suivants : Chine, Russie, Arabie Saoudite, France, etc. Selon plusieurs analystes, il est sous-estimé et excéderait mille milliards, si l'on inclue les budgets des anciens combattants et de la CIA, qui est fortement impliquée dans les opérations extérieures.

Le chiffre officiel représente 3,2% du produit intérieur brut, et 16% du budget fédéral. Il participe au déficit du budget et à l'augmentation de la dette fédérale qui est désormais égale au produit intérieur brut. Elle est financée à hauteur de 30% par les investisseurs étrangers dont les deux premiers sont la Chine et le Japon. Or, ces deux pays ont réduit leurs achats. Cette désaffection, si elle se poursuit, augmentera un peu plus le taux d'intérêt que la politique de resserrement du crédit de la Réserve fédérale a déjà relevé. Cette nouvelle hausse aura un double effet indésirable sur l'économie américaine, en ralentissant la croissance et en augmentant le déficit budgétaire et la dette. Le risque d'un cercle vicieux déflationniste est d'autant plus grand que la reprise économique actuelle est l'une des plus longues que les États-Unis aient connu et que la bourse des valeurs mobilières est surévaluée. Qu'adviendra-t-il du dollar, composante essentielle de l'empire américain, si une crise financière d'ampleur éclate ?

Ce risque n'émeut pas le complexe militaro-industriel. L'examen du budget de la défense donne une idée de sa puissance. En dollars, le budget a presque doublé de 2001 à 2011, passant de 408 milliards à 743 milliards de dollars. Cette augmentation fait suite à l'attentat du 11 septembre 2001. Après une pause de cinq ans, il a repris sa marche ascendante avec l'élection de Donald Trump. L 'écroulement de l'Union soviétique en 1991 a été une catastrophe pour les marchands d'armes. Les exportations qui s'élevaient à 14 milliards de dollars en 1992, tombèrent à 5 milliards en 2002, soit une baisse de 64%. Suite aux attentats du 11 septembre, elles s'élèvent à 10 milliards en 2015 (dernier chiffre disponible).

Le Pentagone qui est au cœur du complexe militaro-industriel, est au-dessus des lois. Les scandales de toute nature égrènent son histoire. Ils sont trop nombreux pour être cités. Au plan financier, deux valent d'être relevés. En 2016, l'Inspecteur général (équivalent de la Cour des comptes) a révélé que le Pentagone n'était pas en mesure d'expliquer ce qu'il était advenu de 6.500 milliards de dollars, un montant égal au tiers du produit intérieur brut. La somme a disparu au cours du temps. Le Congrès n'a montré aucun empressement pour savoir ce qui s'était passé, et aucune sanction ou mesure d'importance n'a été prise. Le second exemple concerne le F-35 Lightning, avion de combat censé remplacer plusieurs appareils en service. Parce que ses performances étaient inférieures à celles annoncées – le sénateur John McCain, ancien pilote de chasse et ancien candidat républicain à la Maison Blanche, a demandé son abandon – le Pentagone a en commandé 2.450 exemplaires pour un coût total de 406 milliards de dollars. Onze nations ont annoncé leur intention d'en acheter à son fabricant Lockheed Martin : l'Australie, le Canada, la Corée du sud, le Danemark, la Grande-Bretagne, l'Italie, le Japon, la Norvège, les Pays-Bas et la Turquie.

 

Une vision dangereuse du monde

Les Etats-Unis ne sont ni isolationnistes ni bienveillants. Ils sont prédateurs et impérialistes, comme l'autorise leur puissance. La vision américaine du monde exclue tout compromis avec l'ennemi ou le concurrent qui n'a d'autre solution que de se soumettre. Dans sa version actuelle, elle remet en question l'un des dogmes de la guerre froide : la parité nucléaire. A plusieurs reprises, Poutine a indiqué combien cette parité était importante au maintien de la paix. Elle existe aujourd'hui. Les États-Unis et la Russie disposent de 4.500 ogives nucléaires chacun. Mais à l'avenir, elle disparaîtra à l'avantage des États-Unis. En 2016, Obama a approuvé un programme de mille milliards de dollars pour moderniser d'ici 2030 la force nucléaire américaine. La Russie dont le produit intérieur brut s'élève à 1.283 milliards de dollars et le budget de la défense à 69 milliards de dollars, n'est pas en mesure de suivre. Cela signifie qu'à un moment donné l'équilibre sera rompu. Les États-Unis pourront alors se livrer à un chantage : soumettez-vous ou nous vous détruirons. Poutine a déclaré que la Russie ne renoncerait jamais à sa souveraineté. Il a dit aussi avoir appris dans sa jeunesse que si un combat devait avoir lieu, il fallait frapper le premier.

Cette politique hégémonique va à l'encontre des intérêts fondamentaux des États-Unis, comme le démontre la désaffectation dont ils souffrent sur la scène internationale, y compris parmi leurs alliés les plus proches, comme l'ont montré de récents exemples dont le dernier, et non des moindres, est le soufflet infligé par les Nations unies à l'occasion du vote sur le transfert de la capitale de l'état hébreu à Jérusalem. Au plan économique, cette politique est une aberration qui à terme menace le dollar. Une comparaison avec la politique chinoise est éclairante.

Ces quinze dernières années, les États-Unis ont dépensé près de deux mille milliards de dollars en opérations extérieures, c'est-à-dire en guerres au Moyen-Orient, en pure perte et avec une incidence négative non négligeable sur leur économie. La Chine, quant à elle, investit mille milliards de dollars dans une nouvelle route de la soie, qui la désenclavera de l'étreinte maritime américaine, et renforcera ses liens économiques avec l'Europe et le Moyen-Orient.

La tension dans les relations internationales due à la politique américaine porte en elle un risque apocalyptique. Dans un environnement apaisé, il y a peu de risque qu'une erreur humaine déclenche une guerre nucléaire. En revanche, dans une atmosphère tendue, les risques sont très grands. Dans un rapport d'avril 2014, intitulé « Togo clause for comfort », Chatham House relève qu'en treize occasions pendant la guerre froide, il s'en est fallu de peu qu'une guerre nucléaire ne soit déclenchée en raison d'une défaillance technique ou d'une erreur humaine. En 2015, William Perry, ancien ministre de la défense des États-Unis, publie un livre intitulé « My journey at the nuclear brink » dans lequel il fait part de ses inquiétudes sur les risques que l'arme nucléaire fait courir à l'humanité. La dangerosité des temps actuels est soulignée par la décision du Science and Security Board of the Bulletin of Atomic Scientists qui compte quinze prix Nobel, de régler l'horloge du jugement dernier, Doomsday clock, à deux minutes de minuit le 25 janvier de cette année, la rapprochant de trente secondes de l'heure fatidique. Elle n'a jamais été aussi près de minuit sauf en 1953, suite à l'explosion de la première bombe thermonucléaire. Les scientifiques notent que le Nuclear Posture Review ne relève pas le seuil d'utilisation de l'arme nucléaire, comme le prétend le document, mais au contraire l'abaisse. Ils demandent au Président américain de cesser ses invectives à l'égard de la Corée du Nord, et aux États-Unis et à la Russie de prendre les mesures nécessaires pour éviter tout incident susceptible de provoquer une guerre nucléaire fortuite. Ils demandent aussi aux dirigeants de ces deux nations de reprendre les négociations pour la signature d'un traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. 

S'il y a quelque chose de puéril dans la vision du monde de Donald Trump, celle des néoconservateurs est tout aussi désarmante. Elle fut exprimée la première fois en 1941 par Henry Luce, éditeur de Life Magazine. William Kristol et Robert Kagan la réitérèrent en 1997 dans un document intitulé "Projet pour un nouvel empire américain (1). Elle est présente dans les documents mentionnés précédemment. Elle est un non-sens absolu, et d'une telle dangerosité qu'elle conduit à s'interroger sur la santé mentale de ses concepteurs. Elle s'inscrit dans une longue tradition conquérante, mais elle est condamnée d'avance. Ses effets qui sont à l'opposé de ceux recherchés, accélèrent le déclin des États-Unis. Le cynisme et l'inhumanité des dirigeants américains n'a d'égal que leur aveuglement. S'il n'existe pas de paix durable en raison de la dynamique des nations et de la nature humaine, les chefs d'Etat et de gouvernement doivent se consacrer sans relâche à son accomplissement. Albert Einstein déclara il y a bien longtemps que l'arme nucléaire devait changer notre façon de penser. Il n'a pas été entendu à Washington. Concluons en rappelant que si l'élite américaine, imbue d'elle-même, cherche à imposer sa vision du monde au reste de l'humanité, l'Américain, lui, est pacifiste et généreux.

Jean Luc Baslé
Ancien directeur de Citigroup à New-York
Auteur de "L'euro survivra-t-il ?"

 

(1) Francis Fukuyama dans La fin de l'Histoire, publié en 1992, et Samuel Huntington dans Le choc des civilisations, publié en 1997, en donnent leur propre version. Le second est proche des thèses de Kristol et de Kagan.