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Comment expliquer la chute du cours de l'or noir ?

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04 mars, 2016
Tribune libre
Loïk Le Floch-Prigent


Pas un jour ne se passe sans que quelqu'un ne m'interroge sur le prix du pétrole. Il est vrai que les nouvelles ont de quoi déconcerter ! Parti à plus de cent dollars le baril, l'or noir paraissait destiné à monter encore, mais il est redescendu aux alentours de trente dollars et les prévisionnistes expliquent désormais tout et son contraire sur l'évolution des prix : certains annoncent une stabilisation, d'autres prédisent une hausse des cours dans les prochains mois… Qu'en penser ? 

Premier élément essentiel à prendre en compte : il y a un prix technique, sortie du puits, et un prix politique dépendant de la géopolitique, ces deux prix sont complètement déconnectés l'un de l'autre. C'est le seul produit où la différence est aussi forte. A aucun moment dans l'histoire de cette matière première, il n'y a eu un rapport quelconque permettant de déduire l'un de l'autre, ces deux prix étant totalement indépendants. La démonstration pourrait se faire en reprenant les premiers âges du pétrole américain avec Rockefeller, mais contentons-nous des dernières décades à partir des « chocs pétroliers », c'est-à-dire l'augmentation rapide des prix des productions les moins coûteuses.

Lorsque les réserves sont abondantes et de bonne qualité, les prix à la production sont très faibles, l'essentiel du travail a été fait pendant des millions d'années, les hommes se contentant de forer et d'exploiter. Les luttes qui ont eu lieu autour du pétrole tenaient à sa disponibilité et au partage de la rente. Les pays producteurs ont voulu un meilleur sort que celui qui leur était réservé jusque là, ce furent les chocs pétroliers des années 1970.

Que s'est-il passé à ce moment là ? Tout simplement, les cours ayant augmenté, les réserves pétrolières disponibles dans d'autres pays sont devenues économiques, c'est-à-dire que le Moyen-Orient et le Venezuela réunis dans l'OPEP se sont retrouvés avec une augmentation du nombre des producteurs et ont donc dû réduire leur part dans le marché mondial. Lorsque les prix de vente augmentent, les ressources exploitables aussi et donc on peut dire que de façon mécanique les réserves augmentent avec les prix !

Récemment, le baril a encore été vendu au-delà de 100 dollars et toutes les réserves compliquées ont été mises à l'ouvrage, montagnes de pétrole de l'Orénoque au Venezuela, sables bitumineux de l'Alberta au Canada et pétrole non conventionnel (dit de schiste) aux USA. Une nouvelle fois, les pays producteurs ont vu leur part de marché diminuer, mais cette fois-ci, au lieu de réduire leur production pour soutenir les cours, ils ont décidé de conserver leurs clients et de maintenir leur exploitation ce qui a entrainé un effondrement des prix. Leur espoir était de voir les nouveaux producteurs abandonner, considérant que ces nouvelles productions allaient se révéler trop coûteuses. Dans leur analyse, ils n'ont pas pris en compte l'évolution des techniques conduisant à l'augmentation de la rentabilité. Pourtant, ils auraient dû se méfier puisque l'off-shore avait vu, lui aussi, diminuer ses coûts après les chocs pétroliers, puis l'off-shore profond vingt ans plus tard. Il en a été de même pour le pétrole non conventionnel qui était annoncé à 70 dollars le baril et qui ne cesse de baisser depuis. Les observateurs annoncent des faillites de sociétés exploratrices, ce n'est pas faux, mais les grandes entreprises reprennent les productions et abaissent les coûts, de 70 dollars on est descendu aux environs de 25 dans le nord Dakota et il est encore possible de tirer les prix bien plus bas !

Les prix « techniques » des grands gisements du Moyen-Orient sont, bien sûr, les plus intéressants, c'est ce qui a fait la richesse de l'Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Unis, du Koweit et aussi de l'Iran et de l'Irak. Mais désormais les barils les moins chers seront issus des pays qui ont le moins exploité pour des raisons de politique isolationniste de leurs dirigeants et donc d'éloignement des progrès techniques. L'Iran et l'Irak se retrouvent désormais avec les champs les plus prometteurs et vont pouvoir se mettre à jour techniquement. Quel paradoxe ! Ce sont ces deux pays qui pourraient produire à très faibles coûts s'ils disposaient de fonds et des techniciens en nombre suffisant. La géopolitique du sous-continent en est donc bouleversée. L'Arabie Saoudite en est bien consciente, tentant par tous les moyens de conserver sa prédominance. Mais comme un malheur ne vient jamais seul, grâce aux pétroles non conventionnels, son grand allié historique depuis 1944, les USA, n'a plus vraiment besoin d'elle pour garantir son indépendance en pétrole. Depuis quatre ans, les Américains diminuent leur implication au Moyen-Orient tout en estimant que la future ouverture du marché iranien est une priorité.

Si l'Iran retrouve un fonctionnement qui redonne confiance aux investisseurs, en particulier pétroliers, il retrouvera une production plus conforme à ses réserves et une rentabilité bien meilleure que ses voisins tandis que sa population est la plus instruite et la plus travailleuse de la région. Voilà qui modifie sensiblement les perspectives d'avenir.

Quel est le prix politique auquel nous allons arriver ? Il est clair que les USA voudront conserver leur avantage de producteur de pétrole et donc de pays autonome, c'est pourquoi aujourd'hui il y a une sorte de prix plancher autour de trente dollars. Dans la guerre larvée qui a toujours existé entre l'Iran et ses voisins, aucun cadeau ne viendra des Perses, ils produiront au maximum pour redonner de l'air à leur économie. Si l'Arabie Saoudite continue à vouloir conserver ses parts de marché, elle souffrira et il en sera de même pour la Russie et le Venezuela. Les Iraniens seront contents si des restrictions volontaires de production conduisent à un soutien des cours, mais ils ne changeront rien à la politique qu'ils mènent qui consiste à s'ouvrir vers le monde et à avoir une production maximale. En conséquence, il est difficile d'imaginer ce qui pourrait conduire dans des délais brefs à une modification de la tendance amorcée il y a deux ans.  

Grâce à l'Iran, à l'Irak et aux progrès, les prix techniques poursuivront leur descente, les sables de l'Alberta et les montagnes de l'Orénoque, qui produisent le pétrole le plus cher, souffriront alors que dans le même temps les prix politiques vont sans doute stagner. Les grands pays pétroliers, comme les petits se retrouveront largement déstabilisés. Les familles régnantes devront changer leurs trains de vie faute de quoi elles risquent d'être confrontées à de graves conflits sociaux, voire des révolutions.

 

 

Tags:
politique énergétique, arabie saoudite