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Plaidoyer pour un monde multipolaire

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09 janvier, 2019
Note
Boris Laurent


En février 2007, à Munich, Vladimir Poutine prononçait un discours fleuve sur la sécurité et les perspectives de développement de la politique internationale dans lequel il critiquait ouvertement l'unilatéralisme américain. Beaucoup ont vu dans cet événement munichois des relents de Guerre froide. Retour sur ce célèbre discours qui nous en dit beaucoup sur la Russie et qui reste, plus que jamais, d'actualité.

 

 

 

« Durant des siècles vous avez regardé à l'Orient,

Thésaurisant et refondant nos perles.

Et, nous raillant, vous n'attendiez que l'heure

De diriger sur nous les gueules de vos canons. »

Alexandre Block, Les Scythes, 1918.

 

 

En février 2007, à Munich, Vladimir Poutine prononçait un discours fleuve sur la sécurité et les perspectives de développement de la politique internationale dans lequel il critiquait ouvertement l'unilatéralisme américain. Beaucoup ont vu dans cet événement munichois des relents de Guerre froide. Retour sur ce célèbre discours qui nous en dit beaucoup sur la Russie et qui reste, plus que jamais, d'actualité.

« La Russie est un rébus enveloppé de mystère au sein d'une énigme. » Churchill, avec son sens de la formule, posait ainsi un regard perplexe sur ce pays que d'aucuns trouvent encore étrange, voire inquiétant. Il est vrai que, pendant 72 ans, la Russie s'est enfermée dans un immense pré carré d'où rien ne transpirait, ou presque. L'URSS formait alors l'autre « superpuissance », l'autre bloc idéologique qui faisait face au monde libre mené par les Etats-Unis. Mais, à partir de 1989, l'empire soviétique s'est effondré, sur lui-même ; les États-Unis ont, de façon inattendue, triomphé de l'ennemi mortel. La chute du Mur fut accompagnée d'une liesse générale et, à l'instar de Fukuyama, beaucoup y virent la « fin de l'histoire », d'autres crurent même y voir, la fin de la guerre. Bien sûr, il n'en fut rien. Les oppositions idéologiques demeurent, se renforcent même, continuent de se confronter ; aucun consensus n'est venu pacifier la planète ; la démocratie libérale n'a pas universellement triomphé et de nouveaux modèles alternatifs ont émergé. Le « nouveau siècle américain » annoncé entre autres par Fukuyama n'aura donc été qu'une brève illusion.

Après deux décennies d'errements, de chaos, durant lesquelles la CIA achetait les secrets militaires russes à bas prix et intervenait dans les élections, la Russie a fait son retour sur la scène internationale (1). Vladimir Poutine, arrivé au pouvoir en 2000, a remis le pays sur les rails. Mais ce retour a ravivé de bien mauvais souvenirs et, encore aujourd'hui, fait craindre le pire. Il est vrai que la Russie semble intransigeante à l'endroit des Occidentaux qui, de leur côté, font feu de tout bois et l'enfoncent périodiquement sous un monceau de critiques, de railleries, de leçons de morale. En fait, il ne faut pas oublier que c'est bien le partenaire occidental qui a essayé, après la chute du communisme, de lui imposer ses valeurs sans contrepartie aucune, et d'une manière humiliante. À n'en pas douter, cela a contribué à raviver de vieilles rancœurs. Pouchkine disait déjà, au XIXe siècle : « L'Europe, à l'égard de la Russie, est toujours aussi ignorante, toujours aussi ingrate. »

Pour qui veut comprendre la Russie d'aujourd'hui, le discours de Vladimir Poutine, prononcé à Munich, en février 2007, offre donc une grille de lecture tout à fait pertinente. Il éclaire aussi le monde tel qu'il y est décrit crûment et tel que beaucoup ne veulent pas le voir, ainsi que, sur la base de ce constat, le nouveau modèle de relations internationales que propose la Russie. Paradoxalement, si l'URSS, et la Russie des tsars avant elle, a toujours été vue, à raison, comme un pays opaque, mystérieux à tout le moins, ce discours nous offre un certain nombre de clefs pour le comprendre et pour mesurer le rôle qu'il espère jouer sur une scène internationale chaotique, dérégulée.

 

Munich 2007 – un discours de rupture

Le discours de Vladimir Poutine ne pouvait pas mieux tomber car il s'insérait entre deux « époques » marquées par une certaine forme de brutalité : la chute de l'URSS puis le chaos de l'ère Eltsine, et la crise financière de 2008.

En 2007, le monde poursuit son embellie économique ; les taux de croissance explosent ; la Chine exporte massivement vers les marchés européen et américain ; la puissance américaine semble intangible. À ce moment, la Russie affiche un taux de croissance à près de 7% et un PIB en croissance de 8,5%.

C'est donc en pleine euphorie que Vladimir Poutine prononce son discours lors de la Conférence sur la sécurité. Et ce discours détonne par sa gravité, son réalisme, son caractère très offensif et c'est pour cela qu'il surprend l'auditoire de près de 300 spécialistes. Il inaugure une véritable rupture dans les relations internationales marquées jusqu'alors par une certaine forme de conformisme, de passivité, d'acceptation d'une situation mondiale encore dominée de la tête et des épaules par les États-Unis. Le Président russe, plus que tout autre dirigeant, comprend véritablement ce qui s'est joué entre 1991 et 2007 car il en relève les marqueurs les plus importants.

 

Le retour aux bases « westphaliennes » de la politique internationales

Tirant les leçons de l'effondrement soviétique et des décennies de chaos qui ont suivi, Poutine met en lumière une série de principes qui, selon lui, permettront dorénavant d'organiser les relations internationales sur de meilleures bases et notamment celui, capital, d'égalité en les nations.

Au fond, il propose purement et simplement un retour aux bases du Système « westphalien » qui dominait les relations internationales depuis le XVIIe siècle. Ce système avait sanctionné la fin de la guerre de Trente ans, en 1648. Étaient alors reconnus l'État comme forme d'organisation politique des sociétés et un système étatique fondé sur trois grands principes :

- La souveraineté externe : aucun État ne reconnaît d'autorité au-dessus de lui et chaque État considère les autres États comme ses égaux.

- La souveraineté interne : chaque État a la pleine autorité sur son territoire et la population qui y vit. Aucun État n'a le droit d'interférer dans les affaires internes d'un autre État.

- L'équilibre des puissances : aucun État ne doit surpasser en force les autres États. Chaque État essaie de faire en sorte qu'aucun autre État ne se retrouve en situation d'hégémonie.

En l'absence de règles éthiques universelles capables de canaliser les très grandes différences de valeurs qui existent entre les différents pays, les relations internationales ne peuvent alors être régulées, gérées, que par le principe du droit international reposant lui-même sur deux principes fondamentaux : l'unanimité et la souveraineté nationale.

 

Quand le droit américain se substitue au droit international

Or, de ce point de vue du droit international, le problème que soulève Vladimir Poutine a trait à la situation dans laquelle se trouvent désormais les États-Unis et aux nombreuses conséquences que celle-ci induit. Avec l'effondrement de l'URSS, les États-Unis sont en effet passés du statut de « superpuissance » à celui d'« hyperpuissance », incontestée, hégémonique. Ce statut si particulier, inédit à cette échelle, sous-tend inévitablement le problème du déséquilibre qu'une telle situation introduit dans l'ensemble de la communauté internationale. Par leurs nombreuses interventions extérieures, aux succès relatifs, les États-Unis ont renversé le fragile équilibre des relations internationales et ont même aggravé des situations déjà critiques et/ou passablement compliquées.

Mais le Président russe met également en lumière un phénomène directement lié au statut d'hyperpuissance : le droit comme instrument du hard power et comme composante intégrante de la stratégie de puissance que Washington a patiemment élaborée (2). En substance, dit-il, le seul droit national américain se substitue au droit international.

« Nous sommes témoins d'un mépris de plus en plus grand des principes fondamentaux du droit international. Bien plus, certaines normes et, en fait, presque tout le système du droit d'un seul État, avant tout, bien entendu, des États-Unis, a débordé de ses frontières nationales dans tous les domaines, dans l'économie, la politique et dans la sphère humanitaire, et est imposé à d'autres États. »

Cette affirmation semble difficile à croire, et pourtant, tout individu, entreprise commerciale, bancaire, industrielle, toute société financière, en fait, toute personne morale ou physique qui irait à l'encontre d'une décision prise par le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique, serait immédiatement la cible de sanctions immédiates, quel que soit son pays d'origine. C'est le cas aujourd'hui de plusieurs banques internationales, notamment de la banque française Société Générale, coupable d'avoir utilisé le dollar US pour des transactions avec des pays sous embargo américain, à savoir Cuba, l'Iran et le Soudan. Pas moins de quatre agences lui sont « tombées sur le dos » : le ministère de la Justice, le Bureau du contrôle des avoirs étrangers, le Bureau du procureur du district de New York et le département new-yorkais des services étrangers. Le montant total des sanctions s'élève tout de même à 1,34 milliards de dollars US. Même s'il est vrai aussi que la Réserve fédérale des États-Unis vient d'indiquer que les poursuites seront abandonnées si la Société Générale se conforme aux accords américains durant une période probatoire de trois ans. On pourrait également parler des sociétés européennes obligées de quitter l'Iran sous peine de sanctions américaines. Pour Washington, le droit – national – est donc devenu un outil de contrôle et de coercition particulièrement efficace au niveau international. À un niveau supérieur, les États, y compris alliés de Washington, sont soumis aux mêmes règles. Toute velléité d'indépendance, d'autonomie, de libre concurrence est immédiatement étouffée par l'extraterritorialité du droit américain. On ne peut qu'être surpris à cet égard par le mépris affiché des États-Unis envers leurs alliés, même les plus anciens.

 

Pour la fin du monde unipolaire

En plus de ces critiques, d'ailleurs nécessaires face à l'omnipotence américaine, ce discours nous en dit beaucoup également sur la vision du monde actuel que peuvent avoir les Russes. Il décrit assez clairement le regard qu'ils portent sur les relations internationales, dont les enjeux sont devenus, estiment-ils, beaucoup plus complexes qu'auparavant.

« J'estime que le modèle unipolaire n'est pas seulement inadmissible pour le monde contemporain, mais qu'il est même tout à fait impossible. Non seulement parce que, dans les conditions d'un leader unique, le monde contemporain (je tiens à le souligner : contemporain) manquera de ressources militaro-politiques et économiques. Mais, et c'est encore plus important, ce modèle est inefficace, car il ne peut en aucun cas reposer sur une base morale et éthique de la civilisation contemporaine. »

En effet, le monde change, très rapidement. Les puissances émergentes s'affirment de plus en plus sur la scène internationale. Leur poids décisionnel est chaque jour plus important. Dans les salons feutrés des chancelleries, leurs diplomates s'activent ; leurs armées opèrent sur des champs de bataille asymétriques où elles tentent de démontrer leur puissance ; le « développement dynamique de toute une série d'États et de régions », dit Poutine, transforme le paysage international. L'hégémonie a vécu. Aucune puissance, si forte soit-elle, ne peut plus maintenir la stabilité mondiale à elle seule.

D'autre part, et c'est là encore un élément important, le Président russe indique que rien dans le droit ne peut justifier l'unipolarité. Aucun article, aucun principe légal ne permet à une puissance d'exercer un leadership mondial et incontesté, que celui-ci soit accepté plus ou moins docilement ou qu'il se voit imposé par le hard power. Vladimir Poutine fait sienne la célèbre doctrine Primakov. « Maître espion » du KGB, diplomate avisé et fin connaisseur du monde arabe, ministre des Affaires étrangères prudent et habile, Président du gouvernement russe en plein conflit yougoslave, Yevgeny Primakov annoncera au moment de la guerre en Irak, l'effondrement de la doctrine unipolaire américaine. Il organisera un partenariat stratégique, le RIC ou Russie – Inde – Chine, qui deviendra le BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), dont l'objectif économique se doublera d'objectifs politiques pour concurrencer les grandes institutions occidentales et notamment américaines.

Le projet russe d'une telle politique alternative nous fait bien comprendre que les intérêts communs entre les nations demeurent la pierre angulaire des relations internationales, au moins autant que le partage de certaines valeurs. Mais ces intérêts ou ces valeurs, ne peuvent en aucun cas être utilisés par une puissance pour imposer aux autres sa volonté. La multipolarité doit devenir la règle dans un monde de plus en plus dangereux, aux menaces multiples et soudaines auxquelles la décision d'un seul ne peut pas apporter de réponse satisfaisante.

Dans le fond, ce que le Président russe reproche aux États-Unis, c'est de ne pas tenir compte de l'avis des pays non-alignés sur leur politique étrangère, car ces pays sont eux-mêmes considérés comme quantité négligeable. Il ajoute d'ailleurs qu'il n'y a aucune raison valable au fait que les États-Unis ne soient pas soumis aux mêmes lois que les autres. C'est bien l'impunité américaine que Vladimir Poutine condamne : « Les actions unilatérales, souvent illégitimes, n'ont réglé aucun problème. Bien plus, elles ont entrainé de nouvelles tragédies humaines et de nouveaux foyers de tension. Jugez par vous-mêmes : les guerres, les conflits locaux et régionaux n'ont pas diminué. Les victimes de ces conflits ne sont pas moins nombreuses, au contraire, elles sont bien plus nombreuses qu'auparavant ! » Les conflits en Libye et en Syrie, durant lesquels l'administration américaine fera preuve d'un étonnant amateurisme, lui donneront raison.

 

Élargissement de l'OTAN et « citadelle assiégée »

Mais ce que condamne le Président russe, c'est aussi, et peut-être surtout, la menace que font peser les États-Unis sur l'intégrité même de la Russie.

Dans son discours, Vladimir Poutine met en garde les Occidentaux et leurs leaders : l'ingérence occidentale dans les affaires russes n'a que trop duré ; la constitution d'un bouclier anti-missiles aux portes de la Russie ne repose sur aucune nécessité ; l'élargissement constant de l'OTAN vers la Russie est une provocation qui pourrait avoir de lourdes conséquences.

Sur ce dernier point, la progression opérée par l'Alliance vers l'Est est une couleuvre de trop pour Moscou. Englober les pays de l'Europe de l'est dans l'OTAN ne sert pas à moderniser l'Alliance, comme Washington l'a toujours soutenu avec un « culot » incroyable. Cette extension n'a d'autre but que de contenir la Russie, de l'affaiblir en englobant son « étranger proche ». L'esprit de « containment » demeure.

Poutine ajoute : « On voit apparaître en Bulgarie et en Roumanie des "bases américaines légères avancées" de 5 000 militaires chacune. Il se trouve que l'OTAN rapproche ses forces avancées de nos frontières, tandis que nous - qui respectons strictement le Traité [Traité sur les forces conventionnelles en Europe, signé en 1999, NDLA] - ne réagissons pas à ces démarches.» (3) Notons qu'aucun pays occidental n'accepterait une telle situation le long de ses frontières. Mais cela ne semble pas nous heurter outre mesure, ni nos femmes et hommes politiques, ni nos médias.

Le cas ukrainien est probablement le plus frappant. Ourdie de longue date par les États-Unis, l'intégration de Kiev au sein de l'OTAN, si elle devient effective, s'accompagnera d'un déploiement de troupes le long de la frontière avec la Russie et de l'installation du fameux système antimissiles balistiques que Bill Clinton appelait déjà de ses vœux en 2000. Dans le même temps, à la suite de la révolution qui a chassé le Président Ianoukovitvch et son régime corrompu, le nouveau gouvernement ukrainien a supprimé le statut de langue nationale du russe et mis fin au bilinguisme, envenimant la situation à travers tout le pays. Il n'en fallait pas plus à Vladimir Poutine pour mener une stratégie indirecte et ainsi répondre à tant de provocations. Fin stratège, excellent géographe, il connaît les cartes, leurs reliefs autant que leurs dessous. La réactions s'est opérée sans affrontement direct en deux temps : la Crimée d'abord, ramenée dans le giron russe grâce à une opération militaire hybride (forces spéciales, cyber attaque, opérations de désinformation…) doublée d'une opération politique s'appuyant sur le précédent du Kosovo, soutenu alors par les Occidentaux, rappelons-le ; l'Ukraine ensuite , avec des opérations de soutien aux russophones séparatistes dans l'est du pays.

Barack Obama a d'ailleurs reconnu publiquement que Vladimir Poutine n'a finalement fait que réagir à la participation en sous-main de Washington à la révolution de février 2014 (4). Dans ce contexte très tendu, on comprend aisément l'étonnement puis la colère de Moscou alors que les États-Unis jouent depuis longtemps un jeu dangereux dans l'arrière-cour russe, son « étranger proche ». À propos de l'élargissement continu de l'OTAN, Poutine souligne d'ailleurs dans son discours de Munich que « [c]'est un sérieux facteur de provocation, qui abaisse le niveau de confiance mutuelle. Nous sommes légitimement en droit de demander ouvertement contre qui cet élargissement est opéré. Que sont devenues les assurances données par nos partenaires occidentaux après la dissolution du Pacte de Varsovie ? Où sont ces assurances ? On les a oubliées. » On pourrait ajouter que l'Alliance s'est progressivement transformée, passant du statut d'outil défensif face au Pacte de Varsovie, à celui d'énorme machine à business. Car si Donald Trump a demandé à tous ses membres de porter leur budget de la défense à 2% de leur PIB, c'est bien pour augmenter leur capacité d'achat de matériel américain. L'OTAN est ainsi devenue un immense marché pour le complexe militaro-industriel américain. Il est également un outil de la politique étrangère américaine qui tend d'ailleurs à se substituer à l'ONU et à l'Union européenne. Ce fut le cas en Serbie et au Kosovo, en 1999, ça le sera encore en Libye, en 2011. On voit bien comment l'Occident cherche à pousser son avantage stratégique en remettant en cause le droit international, en l'espèce, la charte des Nations Unies. Bien sûr, ces manœuvres occidentales nourrissent le ressentiment russe et rendent de plus en plus crédible l'idée, née il y a bien longtemps, que la Russie est une « citadelle assiégée ». Cette hantise de l'encerclement, puissante durant l'ère soviétique, revient donc en force, alimentée il est vrai par un Président russe qui joue habilement la carte du « seul contre tous ».

 

Construire l'ennemi russe

Longtemps, la question que se posait l'Occident était de savoir ce que voulait Vladimir Poutine. Mais, au regard de tout ce qui s'est passé depuis son accession au pouvoir, et surtout depuis son célèbre discours de Munich, la véritable question est celle-ci : que veut l'Occident ? Probablement démontrer que Vladimir Poutine est un autocrate va-t-en-guerre ; tenter de le coincer en le poussant à frapper un pays membre de l'OTAN et ainsi déclencher l'article 5 de l'Alliance qui stipule que « Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles, survenant en Europe ou en Amérique du Nord, sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties (…). » Construire un ennemi, tel serait donc le dessein de l'Occident.

Le récent incident impliquant les marines russe et ukrainienne en mer d'Azov a confirmé l'unanimité de l'Occident contre la Russie. Sans attendre d'en savoir plus sur cette affaire extrêmement complexe eu égard à l'histoire des deux pays, au conflit qui les oppose depuis de nombreuses années, et à la zone même où se sont déroulés ces incidents (l'étroit passage du détroit de Kertch) les pays occidentaux ont immédiatement emboîté le pas à Washington. Même le Canada, qui nous avait habitué à plus de réserve, s'est lancé dans l'offensive via sa ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, d'origine ukrainienne, rappelons-le. L'OTAN est également rentrée dans la partie par la voix de son Secrétaire général, Jens Stoltenberg, qui a réaffirmé « l'appui total de l'OTAN à l'intégrité et à la souveraineté territoriale de l'Ukraine. », qui, n'est pourtant pas – encore – membre de l'Alliance ! Or, nous savons de longue date que la provocation et la désinformation sont des outils qui ont été largement utilisés autant par Kiev que par Moscou dans cette véritable tragédie qui se joue toujours dans l'est de l'Ukraine. Pourtant, nous avons donné du crédit à l'un et pas à l'autre. Dès ce mois de février 2007, Vladimir Poutine nous mettait en garde justement contre ce genre de situation. La dépendance occidentale à la politique étrangère américaine est un chemin dangereux car toutes nos actions, nos postures, nos relations avec les autres nations reposent sur une seule vision du monde, celle qui prétend voir dans la démocratie parlementaire à l'américaine la seule voie vers la démocratie et le progrès, mais qui trop souvent ressemble aussi à celle du plus fort qui dicte sa loi à tous les autres.

Boris LAURENT

Historien, journaliste, spécialisé en histoire des relations internationales.
Il est l'auteur de "La guerre totale à l'Est". "Nouvelle perspective sur le conflit germano-soviétique (1941-1945)", Nouveau monde éditions et "Les opérations germano-soviétiques dans le Caucase (1942-1943)", éditions Economica.


(1) « Russia Isn't the Only One Meddling in Elections. We Do It, Too. » Scott Shane, The New York Times, Feb. 17, 2018. Et aussi, "Koursk, un sous-marin en eaux troubles", de Jean-Michel Carré, Les Films Grain de sable, 2005.
(2) Hard Power : capacité d'un État à influencer le comportement d'autres États par des moyens coercitifs (militaires, économiques, diplomatiques, politiques).
(3) Au même moment, en effet, la Russie retire ses troupes de Géorgie et débute des négociations avec la Moldavie où 1500 hommes protègent les dépôts de munitions datant de l'ère soviétique.
(4) Déjà en 2004, les États-Unis ont financé via le German Marshall Found, des ONG locales qui ont activement participé à la « révolution orange » en Ukraine. Aux commandes, on retrouve George Soros, financier et militant démocrate américain ou encore Madeleine Albright, ex-Secrétaire d'État de Bill Clinton qui a versé des dizaines de millions de dollars pour renverser la présidence alors en place.

 

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