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Que faire de la révolution de 1917 ?

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07 novembre, 2017
Note
Bruno Husquinet


Alors que la révolution de 1917 représente un tournant fondamental de l'histoire mondiale, ce centenaire restera, sans doute, dans les mémoires comme le jubilé le moins commémoré. Récemment, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a déclaré qu'il n'y avait rien à célébrer, signifiant ainsi combien le malaise est grand et multiple en Russie comme ailleurs. Selon, l'historien Marc Ferro, les souvenirs de cet événement, pour beaucoup, sont douloureux.

Crédit photo IVERIS.  Défilé commémoratif du 100 ème anniversaire de la révolution de 1917 à Berlin, le 5 novembre 2017.

Depuis la seconde moitié du 19ème siècle, la Russie tsariste prenait la voie des réformes notamment sous la pression terroriste visant l'élite dirigeante. Au tournant du 20ème siècle, elle connait un envol capitaliste, mais son économie reste essentiellement rurale sans véritable classe prolétaire industrielle. Soutenu par des intellectuels désireux de changer l'ordre de l'ancien monde, le peuple réclame plus de libertés et de meilleures conditions de vie. Suite à la révolution de 1905, le Tsar a accepté d'ouvrir la porte au multipartisme et à la représentation populaire en créant la première chambre, la Duma. Il a, en outre, accordé certaines libertés, notamment en matière de religion. Le premier ministre de l'époque, Piotr Stolypine espérait endiguer le mouvement révolutionnaire en offrant de meilleures conditions aux paysans. Cependant, trop lentes ou trop maigres, ces réformes ont été emportées dans le tourbillon de la guerre du Japon suivi de la première guerre mondiale. Lénine, lui, a guidé la révolution jusqu'à son terme et a remporté la guerre civile qui opposait les révolutionnaires aux forces tsaristes revenues du front. Ayant ordonné l'exécution du tsar Nicholas II et de sa famille, il a ensuite mis en place la dictature du prolétariat.

La révolution de 1917 ambitionnait d'installer le communisme, libérant les classes laborieuses du joug bourgeois, tsariste et clérical. Néanmoins, elle a agi comme un barrage, interrompant abruptement le développement du capitalisme, de libertés civiles et de la création de partis politiques.

Après la mort de Lénine en 1924, la verticale du pouvoir stalinien a assis la vision d'un parti unique sur le peuple et l'Etat avec une poigne de fer. Engagée dans la deuxième guerre mondiale, l'armée soviétique a repoussé l'invasion allemande après avoir essuyé de nombreuses défaites. Sur le front de l'Est, l'armée rouge regagnait du terrain et avait profondément affaibli le troisième Reich lorsque les Etats-Unis sont entrés en guerre. Staline était donc en position de force lors des négociations de Yalta en 1945, quand le monde fut divisé entre Est et Ouest. Quelques mois plus tard, un symbolique drapeau rouge flottait sur le Reichstag à Berlin, laissant 20 millions de citoyens soviétiques morts au combat. La « grande guerre patriotique » a été hissée au rang de mythe aux élans quasi-messianiques gratifiant à certaines villes le titre de martyr. L'URSS avait vaincu le nazisme et libéré l'Europe centrale reconstruite et socialisée par Moscou. En Europe de l'Ouest, le plan Marshall soutient la relance, le débarquement en Normandie est glorifié et l'opposition aux mouvements communistes occidentaux se renforce. Dès 1949, le communisme gagne du terrain avec la proclamation de la République Populaire de Chine de Mao. 

Le monde est alors divisé géographiquement et idéologiquement. Ensuite, les divergences ont cédé la place aux questions sécuritaires dans une guerre froide incarnée par l'opposition indirecte entre l'OTAN et le pacte de Varsovie. Conséquemment, une longue chaîne de conflits dessine les zones d'influence entre capitalistes et communistes sur tous les continents. Néanmoins, il n'y a jamais de confrontation directe et la crise des missiles de Cuba en 1962 fut désamorcée au dernier moment.

En Union Soviétique, le mythe fondateur de l'URSS comme rempart du fascisme et du capitalisme a rapidement fait des mécontents. Depuis les pays Baltes jusqu'en Hongrie, nombreux sont ceux qui considéraient qu'au joug fasciste avait succédé le joug socialiste. Ainsi, les velléités indépendantistes montaient et les révoltes éclataient, réprimées par les chars soviétiques comme à Budapest en 1956 ou à Prague en 1968.

Confrontée à ces troubles, Moscou a effectué quelques entailles dans le contrat internationaliste en autorisant aux nationalismes de s'exprimer partiellement. Par exemple, Moscou a fait des concessions sur la pratique des langues nationales et des traditions populaires. Il s'agissait de préserver l'unité soviétique en intégrant les différences nationales. Si la plupart des républiques socialistes étaient ethniquement homogènes, la Russie elle, était – et est toujours - une mosaïque de peuples dont les russes ne sont qu'un groupe ethnique parmi tant d'autres. Il faut différencier ici, le citoyen russe (rossiyanin) du russe ethnique (russky). Certes, la langue russe était la lingua franca, mais les attributs nationalistes de l'ethnie russe étaient muselés. Le socialisme athée, en faisant la guerre au religieux a aussi amputé les russes d'un pan énorme de leur identité. En effet, la culture russe est imprégnée de religion orthodoxe dans sa pensée, mais aussi dans ses arts : architecture, peinture, musique et littérature. Ainsi, quand le barrage de la révolution s'est brisé en 1991, le flot religieux et identitaire a déferlé sur le pays. Il a aussi grondé dans toutes les autres anciennes républiques où conflits et divisions, selon les lignes ethniques ou religieuses, ont éclaté.

Au début des années 1990, le balancier historique repart vers un nouvel extrême. Moscou connaît alors une période d'euphorie, un appel boulimique vers ce que la censure a tenté d'étouffer. Les partis politiques nouvellement créés débattent de leur vision du futur. Les représentants de toutes les confessions se disputent le marché de millions de croyants potentiels ; et le capitalisme sauvage nourrit une criminalité oligarchique. Le Kremlin, lui, est en dérapage pas toujours contrôlé sous la baguette de Boris Eltsine.

Le Président Vladimir Poutine a donc de nombreuses bonnes raisons de ne pas célébrer les cent ans de la révolution, mais l'occasion est peut-être ratée de commémorer l'évènement et de réconcilier la Russie avec son histoire. Que ce soit pour ne pas honorer l'époque soviétique ou pour éviter de rendre hommage à la dissidence violente, le Kremlin a choisi de taire l'évènement. Trop tôt peut-être pour poser un regard froid sur 1917 dans une Russie dont le capitalisme d'Etat n'aurait pas déplu aux réformistes de l'époque tsariste. Problématique sans doute de célébrer ce jour qui fit table rase du passé en tuant son tsar Nicholas II, finalement canonisé après moultes débats en l'an 2000. La révolution de 1917, c'est aussi une guerre civile entre frères, décrite avec justesse dans le livre le Diable Blanc de la Mer Noire. Pour ces raisons, le parti Russie Unie et l'Eglise Orthodoxe russe ne souhaitent pas créditer une révolution qui divisa le pays et le monde. Au contraire, le 4 novembre, Vladimir Poutine et le Patriarche Alexis II ont célébré modestement le Jour de l'Unité aux côtés d'autres dirigeants religieux, de la société civile et de jeunes militaires.

Quelle ironie donc que Berlin soit aujourd'hui l'une des rares capitales qui ose revenir sur la Révolution de 1917 et ses conséquences. L'Allemagne capitaliste avait financé Lénine en échange du retrait des troupes tsaristes de la première guerre. Cette même Allemagne où s'est développé le nazisme entraînant le monde dans une guerre sanglante. Berlin, symbole de la division avec son mur de la honte, critique son histoire et pose un regard neutre sur ce passé douloureux. L'excellente exposition au musée d'histoire se referme sur une mise en garde, celle d'un imprédictible futur où les interprétations biaisées des évènements de 1917 risquent de forger et nourrir des antagonismes idéologiques. Le silence n'est pas toujours d'or... 

 

Bruno Husquinet

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