Traduire
Télécharger en PDF

La détermination russe dans le dossier syrien

Whatsapp
email
Linkedin
Facebook
Twitter
Partager sur
19 octobre, 2015
Tribune libre
Bruno Husquinet


Depuis le début des frappes russes en Syrie, l'Europe et les Etats-Unis s'étonnent, s'offusquent et menacent. Lors de sa dernière réunion du 12 octobre 2015, le Conseil des ministres européens des Affaires étrangères exigeait de la Russie qu'elle cesse immédiatement ses frappes contre les groupes autres que Daesh ou repris dans la liste des organisations terroristes de l'ONU. Dans sa déclaration, le Conseil déclare: «Cette escalade militaire risque de prolonger le conflit, mettre en péril le processus politique, aggraver la situation humanitaire et renforcer la radicalisation». Finalement, le Conseil « appelle la Russie à concentrer ses efforts sur l'objectif commun visant à trouver une solution politique au conflit». La Russie n'a pourtant pas ménagé ses efforts pour trouver une solution en Syrie.

Dès les premiers soulèvements en mars 2011, elle s'est positionnée en soutien du régime de Bashar al Assad contre les opposants; et ce, malgré les critiques émanant des tenants de la vague de révolutions qui soufflaient sur certains pays arabes. En soutenant Damas  devant une opposition religieuse qui se radicalisait, Moscou a pris des décisions qui lui ont attiré l'ire internationale.Le 5 octobre 2011, tombait le double véto russe et chinois au Conseil de sécurité contre un projet de résolution condamnant la violence du régime contre les «démonstrations anti-gouvernementales». Le texte prévoyait de donner aux opposants le droit de se rassembler, de s'exprimer et la libération des prisonniers politiques. En outre, le document proposait un dialogue qui aurait répondu aux aspirations du peuple. Finalement, la mise en oeuvre de ces mesures aurait été régulée par l'article 41 de la charte (mesures non violentes, essentiellement économiques et politiques). Les opposants à la résolution ont souligné le risque d'ouvrir la porte vers un changement de régime soutenu par l'extérieur, voire même une intervention militaire dans un deuxième temps.

Les prédictions du général Clarke

Pour rappel, ces discussions avaient lieu alors qu'une coalition internationale menée par l'OTAN allait mettre fin quelques jours plus tard, au régime de Qaddhafi en Libye. Le 20 octobre, après une longue traque, Qaddhafi était tué et Tripoli tombait entre les mains d'une opposition dominée par les Frères Musulmans et des personnalités proches des islamistes radicaux. Pour la Russie et d'autres pays, la résolution 1973, qui avait permis l'intervention de l'OTAN en Libye, n'était que la bénédiction du Conseil de sécurité pour une opération militaire décidée par d'autres puissances, avec comme seul objectif la fin du régime de Qaddhafi. Il en fut de même, pour la résolution 1971, autorisant une intervention militaire en Côte d'Ivoire en avril 2011. Moscou, échaudée par la mise en œuvre de ces résolutions et suspicieuse quant  à une volonté de répéter ce scénario en Syrie, prit donc la décision de poser son véto le 5 octobre 2011. Les prédictions du général Wesley Clarke qui annonçait, en 2007, que le gouvernement américain mettrait fin à sept régimes dont celui de Tripoli et de Damas, résonnent encore.

En mai 2014, la Russie et la Chine ont par la suite une nouvelle fois posé leur véto, contre la proposition française au Conseil de sécurité de saisir la Cour Pénale Internationale (CPI) sur des crimes commis en Syrie. Mais là encore, l'expérience libyenne, avec les déclarations intempestives de l'ancien procureur Luis Moreno Ocampo, avant même le vote de la résolution 1973 a, sans aucun doute poussé les autorités chinoises et russes à douter de la neutralité et de l'indépendance de la CPI.

Malgré ces vétos, la Russie a néanmoins voté en faveur d'autres résolutions dont la 2043 établissant la mission onusienne UNSMIS. Elle a également participé activement à la conférence de Genève de Juin 2012 qui visait à mettre un terme rapide aux violences. Malheureusement, la décision du groupe d'action a fait l'objet d'une dispute dans son interprétation et ne sera jamais mise en oeuvre. A l'époque, et aujourd'hui encore, il n'est pas question pour la Russie de demander à Bashar el Assad de quitter son poste ou d'orchestrer un changement de régime en Syrie. Genève II connaitra le même sort que Genève I et la solution politique au niveau international s'installe dans une situation de blocage.

Accord sur les armes chimiques

Pendant ce temps, la guerre en Syrie se poursuit et les hérauts du succès des «printemps arabes» se font rares. La Russie reste derrière Bashar al Assad et continue à remplir ses obligations contractuelles en poursuivant la livraison d'armes et en maintenant sa présence sur la base navale de Tartus. En face, l'opposition bénéficie encore et toujours d'un soutien similaire de la part d'un grand nombre d'Etats : France, USA, Turquie, Qatar, Arabie Saoudite qui, pourtant, ne prennent pas officiellement part au conflit. Et, comme toujours, la population civile souffre...

A l'été 2013, des armes chimiques sont utilisées et les victimes de Ghouta présentent des symptômes laissant peu de doutes quant à l'origine de ces signes. Les diverses chancelleries se bagarrent à coup de communiqués accusateurs ou de démentis.  Aujourd'hui, deux ans après les faits, un accord a enfin été trouvé à l'ONU pour lancer une commission d'enquête. Toutefois grâce aux efforts diplomatiques russes qui ont amené la Syrie à faire sa demande d'accession à la convention des armes chimiques, une réponse a été trouvée. En effet, en accédant à cette convention, la Syrie s'impose des obligations de destruction que Moscou a fortement soutenues. En dépit des sanctions qu'elle subit depuis le printemps 2014, suite aux événements en Ukraine, la Russie a négocié, financé et mis en œuvre ce processus qui s'est achevé à l'été 2015. Cette opération fut un succès de coopération entre la Russie, les Etats Unis, la Chine et les pays scandinaves.

Avec l'aval du régime de Damas

A l'été 2014, alors que l'opération touche à sa fin, l'Etat islamique annonce sa création ouvrant ainsi un nouveau chapitre dans le conflit syrien. En janvier 2015, en soutien aux efforts de solution politique, la Russie a une nouvelle fois tenté d'offrir une plateforme de discussion. Elle a invité à Moscou différentes personnalités pour encourager un dialogue syro-syrien. Le seul point d'accord trouvé entre pro et anti Assad fut la demande de lever les sanctions économiques mises en place par l'Union Européenne contre la Syrie. Toutefois ces sanctions, très contestées, sont toujours en vigueur. Depuis le début du conflit, à maintes reprises, la Russie a déclaré que seule une coopération internationale pouvait venir à bout de la menace que représente l'Etat islamique. Mais il existe toujours des désaccords entre Moscou et Washington sur les divers groupes armés. Les Russes considérant qu'ils représentent tous un danger dans une région déjà extrêmement déstabilisée, les Américains différenciant les bons groupes armés à soutenir et les autres contre lesquels les frappes sont lancées en Syrie et en Irak. Certes, la constance de  la Russie présente aussi un avantage pour elle, elle se sert de cette vitrine pour renforcer ses alliances militaires et démontrer l'efficacité de ses avancées en matière d'armement. En outre, cette réponse militaire non coordonnée avec la coalition, oblige déjà la communauté internationale à prendre en considération la position russe.

Il n'est donc ni surprenant, ni illogique, ni provocateur que la Russie lance aujourd'hui des frappes sur l'opposition, avec l'aval du régime de Damas. Cette intervention fait partie intégrante de la réponse russe à la guerre en Syrie.

Dinah Lee

Consultant pour des institutions internationales
 

Tags:
russie, syrie, etat islamique