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Corée du Nord : ne pas confondre coercition et dissuasion

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06 septembre, 2017
Tribune libre
Alain Corvez


La crise coréenne ne peut plus être résolue par une intervention militaire, qui ne pourrait être que nucléaire et donc apocalyptique, mais uniquement par la négociation. Le niveau de technologie nucléaire atteint par la Corée du Nord ne permet plus de l'attaquer militairement sans qu'elle déclenche le feu nucléaire sur son assaillant ou son voisin du Sud, même si les arguties sur le niveau de puissance de ses bombes, leur miniaturisation, précision des porteurs balistiques, cherchent à occulter le fait que la dissuasion nucléaire « du faible au fort » s'applique désormais inéluctablement. Kim Jong Un a parfaitement intégré ce concept que, encore aujourd'hui, certains stratèges ne semblent pas avoir assimilé. 

Dans son œuvre magistrale « C'était de Gaulle », Alain Peyrefitte rapporte comment le Général lui explique après l'explosion de la première bombe atomique française, qui n'était encore qu'une bombe A, le principe de la dissuasion : « J'allais lui demander : ça ne vous fait rien de penser que vous pourriez… (Tuer vingt millions d'hommes deux heures après le déclenchement d'une agression) ? Il me répond tranquillement : « Précisément, nous ne les tuerons pas, parce qu'on saura que nous pourrions le faire. Et, à cause de ça, personne n'osera plus nous attaquer. Il ne s'agit plus de faire la guerre, comme depuis que l'homme est homme, mais de la rendre impossible comme on n'avait jamais réussi à le faire. Nous allons devenir un des quatre pays invulnérables. Qui s'y frotterait s'y piquerait mortellement. La force de frappe n'est pas faite pour frapper mais pour ne pas être frappé »

Les généraux et les stratèges américains le savent très bien, ou alors ils ne sont pas à la hauteur de leurs fonctions, mais les dirigeants et diplomates qui profèrent des menaces militaires l'ignorent ou font semblant de l'ignorer.

Les Etats-Unis auraient facilement pu soumettre à leur volonté la Corée du Nord par la coercition militaire en raison de l'immense différence de puissance en leur faveur avant que la dynastie des Kim n'atteigne pour leur pays le niveau nucléaire - si toutefois l'URSS puis la Russie, ainsi que la Chine les avaient laissé faire - mais désormais détenteur de l'arme fatale, même si loin de la parité, le petit pays  ne peut plus être détruit sans déclencher des représailles insupportables pour la superpuissance.

C'est le principe de la dissuasion « du faible au fort » qui s'impose, dont je rappelle la définition par le général Pierre-Marie Gallois, un des grands stratèges du vingtième siècle : « Aussi, soudainement plongée dans l'ère de l'atome, l' opinion y a-t-elle raisonné ainsi qu'elle aurait pu rationnellement continuer de le faire dans le cycle classique. Elle pensait coercition, alors qu'il s'agissait de dissuasion. Elle comparait numériquement les forces en présence alors qu'il eût fallu qu'elle évaluât les dommages dont aurait souffert le plus fort, quelle que fût sa puissance, s'il s'en était pris à l'existence du plus faible. »

Le Président Donald Trump avait montré au cours de sa campagne électorale une compréhension très grande des nouveaux équilibres mondiaux et annoncé qu'il voulait mettre fin à l'idée que les Etats-Unis devaient dicter leurs conduites à tous les Etats du monde, au prix de guerres coûtant trop cher en vies humaines et en argent, reprochant à l'administration précédente d'avoir jeté la Russie dans les bras de la Chine par une politique stupidement hostile, allant même jusqu'à dire au début de son mandat qu'il était prêt à parler avec Kim Jong Un. Mais on a vu que sur ce sujet comme sur bien d'autres, Russie, Afghanistan, Syrie, Chine, repris en main par le puissant complexe militaro-industriel dont le Président Eisenhower disait le 17 janvier 1961 au moment de quitter sa présidence qu'il était un danger mortel, le Président a dû rentrer dans le rang pour mener la politique que « l'Etat profond » américain considère comme indispensable à la suprématie de la première puissance militaire mondiale, dont l'économie est maintenant défiée par des puissances asiatiques. Il serait intéressant de savoir comment ces pressions s'exercent sur la direction de ce grand pays ami de la France depuis sa naissance, surtout dans les moments de crise, pour empêcher son gouvernement de mener une politique clairvoyante et raisonnable pour le monde et bénéfique, in fine, aux États-Unis eux-mêmes.

La Corée du Nord a atteint le niveau d'invulnérabilité que lui confère la détention de l'arme absolue, affirmant même sa maîtrise de la bombe à hydrogène comme le montre son dernier essai souterrain. Les sanctions ne l'ont pas empêché de progresser technologiquement, et même économiquement de façon modérée.

Ce n'est donc pas par ce moyen que quiconque pourra amener le pays à renoncer à l'arme de la souveraineté et de l'invulnérabilité, Kim Jong Un ayant en mémoire, en outre, le sort que les États-Unis ont réservé à Saddam Hussein et Kadhafi qui ne pouvaient résister à l'immense supériorité militaire américaine qui a pu exercer la coercition en l'absence de toute dissuasion. Le chef emblématique de la Corée du Nord ne correspond sans doute pas à la caricature qu'en font les journalistes occidentaux : loin d'être imprévisible, il applique une politique obstinée de souveraineté nationale dans laquelle il a grandi et s'est formé à l'imitation de son grand-père et de son père, intégrant maintenant la nouvelle puissance que ses aïeux ne possédaient pas mais ont travaillé à obtenir, et manie avec efficacité le concept de la dissuasion. Il cherche à préserver son pays d'un sort qui lui serait imposé de l'extérieur mais n'envisage pas de détruire la Corée du Sud et les milliers d' Américains qui s'y trouvent et ne présente donc pas une menace existentielle pour les États-Unis.

Pourtant une négociation est possible avec le gouvernement du Nord qui ne fait qu'assurer sa survie et n'entend pas convertir le Sud au communisme. Le nouveau Président Moon avait d'ailleurs indiqué sitôt après son élection qu'il était prêt à discuter avec Kim Jong Un pour avancer dans la normalisation de leurs relations. L' avenir de la péninsule est évidemment d'être un jour réunie : la question est de savoir par quelles modalités et sous quelle forme entre les deux entités si différentes politiquement mais si proches humainement. Une chose est certaine, c'est par le dialogue et la diplomatie que l'objectif doit être poursuivi, et non par une action militaire qui serait catastrophique pour la région et même pour la planète entière.

La Chine, au premier rang, peut et a intérêt à aider à ce règlement diplomatique, de même que la Russie. Les liens de ces deux grands pays avec la Corée du Nord sont anciens et connus des spécialistes qui peuvent disserter longtemps sur les aides qu'ils lui ont apporté autrefois dans les domaines scientifique et économique, directement ou par l'intermédiaire de pays tiers comme le Pakistan ou l'Ukraine, en d'autres circonstances, mais tous les deux ont intérêt à ramener le calme dans la région. Ce calme doit évidemment s'accompagner d'une diminution de la présence militaire américaine qui présente une menace toute proche pour plusieurs pays de la région, en tout premier lieu pour la Chine. L'avenir n'est pas dans la résolution des différends par la coercition militaire mais par le dialogue prenant en compte les intérêts stratégiques et économiques raisonnables des acteurs régionaux. Les BRICS, avec les projets de développement inclus dans la nouvelle route de la soie proposent une participation «gagnant-gagnant» à ceux qui le souhaitent, sans domination de l'un ou de l'autre mais en proportion de l'investissement apporté. Ce projet économique mondial ne peut aboutir si certains pays se trouvent soumis à une menace militaire à ses frontières.

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