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Une saine colère

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01 mai, 2016
Tribune libre
Loïk Le Floch-Prigent


La géopolitique intéresse-t-elle encore les hommes politiques ? Nous aimerions que la France, comme par le passé, continue à peser sur l'évolution du monde, aide  à comprendre les grands enjeux et favorise les transformations nécessaires des pays avec lesquels nous sommes liés par l'histoire et l'économie. Pour cela il faudrait observer les réalités sans être dans le déni. Deux éléments me frappent lorsque je lis les commentaires de ceux qui nous gouvernent ou aspirent à le faire, c'est à la fois l'absence d'observation et l'absence de réflexion. Par exemple : parler à tort et à travers des « valeurs de la République » et paraitre ignorer que la démocratie ne peut commencer que lorsque l'alternance est possible devrait nous alerter. Il n'en est rien !  

La gangrène du pouvoir personnel s'est installée en Afrique, mais pour autant, la lutte contre les Présidences à vie n'est pas menée. Bien sûr, il y a les mots, les postures, les attitudes, mais la France n'est plus moteur dans les actes. Les relations personnelles avec les chefs d'Etats qui s'accrochent désespérément au pouvoir ne devraient pas prévaloir sur l'aspiration des peuples au changement et nous ne devrions pas feindre d'ignorer le caractère frauduleux de la plupart des élections dans les pays « francophones » !

Dans cette partie du monde qui nous est très attachée culturellement et sentimentalement, il faut définir notre ligne de conduite collective, avoir une analyse commune de la situation actuelle et avoir une vision de ce que nous pouvons encore faire pour améliorer le sort des peuples qui la composent. Plus de cinquante ans après les indépendances, il est normal que nous n'intervenions pas, après tout ce sont aux peuples eux-mêmes de faire leurs efforts dans la marche chaotique vers la démocratie. Il n'empêche, nous avons un avis à donner, une parole à prendre,  lorsque des « purifications ethniques » sont en cours  nous devons, je dis bien nous devons, nous en indigner clairement et envisager les sanctions adéquates, c'est un minimum !

Que ce soit au Burundi où le maintien du Président conduit à l'avènement d'une nouvelle barbarie ; au Tchad où l'élection n'a été ni transparente ni démocratique et où une répression est en cours ; au Congo-Brazzaville où une ethnie est clairement désignée comme à rayer de la carte, En République Démocratique du Congo où le Chef d'Etat manœuvre pour rester encore au pouvoir en commettant des actes odieux, notre devoir est d'observer et de parler. Après bien des hésitations, le gouvernement, sous la menace permanente d'un concert médiatique sur le retour de la  « Françafrique »,  exprime ses désaccords, soit. Mais quel silence chez ses opposants et dans les médias pourtant si prompts à défendre la veuve et l'orphelin ! Que se passe-t-il donc dans nos esprits pour faire un tabac sur la déchéance de la nationalité pendant quatre mois et être incapables d'observer une évolution dramatique de nos pays amis africains et des souffrances des peuples concernés ? Il n'est, bien entendu, pas question ici du devoir d'ingérence et des hérauts devenus sans doute aujourd'hui un peu fatigués, il s'agit d'humanité, d'une simple humanité qui consiste à observer et dénoncer. Chacun de nous devrait rougir de honte, développer une saine colère et ce n'est pas le cas, comme si les Présidents à vie étaient inscrits dans les gènes de l'Afrique francophone !  

Je comprends que nous sommes fiers, à côté de ces problèmes dérisoires de l'avenir des peuples africains, de sauver la planète grâce à la COP 21  qui a vu 160 pays adhérer à la lutte contre le carbone. Mais à quoi cela sert-il si, par ailleurs, nous n'acceptons pas de regarder en face le malheur des peuples en train de croitre ?  Croyons-nous vraiment que la signature de ces textes par des dictateurs prêts à tout pour conserver leurs pouvoirs, y compris en sacrifiant un grand nombre de vies humaines, soit une perspective enthousiasmante  pour la jeunesse mondiale ? Pensons-nous que les jeunes gens du Pool, département au sud de Brazzaville, qui se font bombarder et tirer dessus à la kalachnikov, sont heureux que leur « Président » ait adhéré à l'augmentation de la taxe carbone ! Leurs maisons et leurs églises incendiées participent d'ailleurs à la « carbonatation » de l'atmosphère !

Tout se passe comme si, plutôt que de tenter d'observer et d'agir sur ce qui peut vraiment modifier la vie des gens, nous nous agrippions  à des valeurs « mondiales », sur lesquelles personne n'a aucune action véritable possible, et que cela suffise à nous donner bonne conscience. Les yeux se détournent des vrais problèmes pour s'occuper de ceux qui nous valorisent…

Nous n'avons pas non plus à accentuer notre propension à donner des leçons au monde entier, mais s'abstenir du minimum « humaniste » d'observation et de parole est odieux.

 

Tags:
afrique, pool, tchad, rdc