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Les massacres du Pool et la politique des trois singes

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18 avril, 2016
Tribune libre
Leslie Varenne


Editorial

Le 19 mars dernier, à la veille de l'élection présidentielle au Congo Brazzaville, l'IVERIS concluait l'article « Une élection à huis-clos » ainsi : « Les Congolais seront donc seuls face à ce moment crucial de leur histoire. Si la terre tremble, il n'y aura pas de témoins. » Le « SI » est devenu réalité. Depuis le 4 avril dernier, dans le département du Pool, la terre tremble. Les villages sont bombardés, mitraillés, pillés par un curieux aréopage composé de milices pro-gouvernementales, de militaires de l'armée congolaise, de policiers et de supplétifs recrutés dans la population. Aucun journaliste, aucune ONG, hormis les cinq volontaires de Caritas choisis par le pouvoir pour entrer dans cette zone de 34 000 km2 et de 234 000 habitants, ne sont autorisés à pénétrer dans ce département. Le pays est en état de siège et les Congolais restent désespérément seuls avec leurs centaines de morts, leurs blessés et leurs milliers de déplacés.

Il aura fallu plus d'une semaine de bombardements avant que quelques voix ne se fassent entendre. Le Haut Conseil des droits de l'Homme de l'ONU a publié un communiqué dans lequel il s'inquiète de la situation alarmante. L'Union Européenne et le Département d'Etat américain ont, eux aussi, condamnés les violences. Des paroles au demeurant fort timides au regard de l'intensité du drame qui se joue dans ce pays… La France, elle, se tait.
Soutenu par le Vatican, Monseigneur Portella, évêque de Kinkala, chef-lieu du département du Pool, a osé élever la voix et dénoncer publiquement ces bombardements. Depuis cette déclaration, il se retrouve dans la même situation que les opposants et des milliers de leurs sympathisants : il est recherché par la police, a fui et se cache.
Pour le pouvoir de Brazzaville les bombardements sur ces villages du Pool sont « une opération de police ciblée » afin de traquer le pasteur Ntumi, ex-chef des milices Ninja pendant la guerre civile de 1997. Ses hommes et lui se seraient rendus coupables d'avoir attaqué les quartiers sud de la capitale le 4 avril au matin.
La réalité est toute autre et répond à une tactique beaucoup plus cynique. Pour se maintenir au pouvoir malgré sa quatrième place à l'élection présidentielle, Denis Sassou Nguesso évoque les vieux démons et cherche à récréer la guerre de 1997. Il a réactivé les Cobras, une milice proche de lui qui s'opposait aux Ninjas de Pascal Lissouba. Le calcul est simpliste : créer une sorte de chaos constructeur… mettre le feu, puis éteindre l'incendie et ainsi apparaître comme l'homme fort, le pacificateur et le réunificateur d'un pays tribaliste coupé en deux entre le Nord et le Sud.
Cette stratégie est vouée à l'échec car elle repose sur une réalité sociale erronée. Le Congo du 21ème siècle n'est plus celui des années 1990 et les résultats de la dernière élection l'ont démontré. Un nordiste, le général Mokoko a obtenu presque 70% des voix à Pointe-Noire, dans le sud du pays, balayant ainsi tous les archétypes sur le vote ethnocentriste. 

La politique de l'assiette

Cette vieille technique, usée jusqu'à la corde, du pyromane-pompier employée par le président congolais correspond exactement aux thèses propagées, bien avant l'élection présidentielle, par ses soutiens dans certains milieux parisiens : « Sassou doit rester au pouvoir. Il faut se rendre à l'évidence, c'est malheureux mais c'est ainsi, l'Afrique a encore besoin de rois nègres, sans lui, la guerre Nord-Sud reprendra ! »
Bien entendu, ses propos étaient divulgués par des hommes hantés par l'idée que s'évanouisse « la manne Sassou » tant ils sont accoutumés "à ramper jusqu'à l'assiette de la République congolaise"(I). L'absurdité et la vulgarité de ces assertions ne doit pas faire perdre de vue la puissance de ses réseaux qui sont en partie responsables de la chape de plomb qui pèse sur les massacres dans le Pool. L'affaire de l'orchestre de Madame Valls révélée par le Nouvel Observateur en est l'illustration, tout comme l'aide que Denis Sassou Nguesso a apporté à l'organisation de la COP 21. Est-ce à cause de cela que la France se tait sur ce drame et qu'elle applique la politique des trois singes : rien vu, rien su, rien à dire ? En Afrique, comme ailleurs, la diplomatie française est en panne, elle est aveugle, sourde et muette sans vision et conviction. Ce vide est comblé par des hommes dont la politique se résume à celle de leurs intérêts personnels. Les réseaux Foccart ont été abondamment critiqués, le plus souvent à juste titre, mais ils répondaient néanmoins aux directives d'un Chef d'Etat et à la défense des intérêts d'une nation.

La raison du silence…

Ici où là, il s'écrit que le silence de la France servirait ses intérêts au Congo, Total exploitant 60% des puits de pétrole de cet Etat. Sauf à laisser croire, que Denis Sassou Nguesso serait le seul garant de la stabilité du pays, le groupe pétrolier français pourrait tout aussi bien s'accommoder d'un autre chef d'Etat. Il en est de même pour le groupe pétrolier italien ENI, même si son PDG Claudio Descalzi est très lié à la Présidence congolaise. Il doit sa carrière à son épouse Marie-Madeleine Descalzi, une femme d'affaires congolaise très discrète et proche du clan Sassou Nguesso.
Mais une fois encore, se jouent-là des intérêts personnels et non pas des intérêts d'Etats. En outre, si le Congo Brazzaville est le 4ème producteur de pétrole de l'Afrique subsaharienne, il n'est pas un pays stratégique pour autant. Avec la surproduction pétrolière actuelle et un baril à 42 dollars, cet Etat qui n'a pas su diversifier son économie et reste totalement dépendant de la manne de l'or noir ne présente que peu d'intérêt pour l'Occident.
Est-ce l'autre raison du silence sur les drames qui se déroulent actuellement dans le Pool ? Au regard de la manière dont l'élection présidentielle s'est déroulée : coupures des communications, arrestations des opposants, pillages des QG des candidats, proclamation des résultats au milieu de la nuit, etc. les Congolais auraient trouvé légitime que la diplomatie internationale se fende de déclarations tonitruantes sur le respect de la démocratie et des droits de l'Homme, des notions décidément à géométrie vraiment variables. En Côte d'Ivoire, en Libye, en Syrie, ils ont sorti l'artillerie lourde, au Congo, ils mettent la tête dans le sable… Jusqu'à quand ?
Pendant combien de temps, les massacres du Pool pourront-ils être cachés à la face du monde ? Qui peut croire que plus de dix jours de bombardements, suivis de mitraillages en règle à partir d'hélicoptères de transports de troupes volant à basse altitude sur des villages puissent ne faire que des dizaines de victimes ? Combien faudra-t-il de lieux de tortures et de détentions pour embastiller tous les Congolais qui souhaitent l'alternance et soutiennent l'opposition ?

Ce silence politique et médiatique, permet à Denis Sassou Nguesso de continuer à se murer dans le déni et de se dérouler le tapis rouge. Son investiture a eu lieu le 16 avril dernier devant un parterre réduit à sa plus simple expression, seuls sept chefs d'Etats africains étaient présents. Heureusement pour compléter l'assemblée dégarnie trois personnalités françaises probablement désintéressées par l'actualité dans le département du Pool ont apporté leur soutien également désintéressé à Denis Sassou Nguesso. Il s'agit de Cécilia Attias, Jean-Louis Borloo et Yamina Benguigui. Lionel Zinzou, un franco-béninois, candidat malheureux à la dernière élection présidentielle au Bénin avait également tenu à participer à la  « fête ». Cet aréopage suffira-t-il à faire oublier les exactions et à rendre sa légitimité à un homme rejeté dans les urnes ?

[i] Cette expression est tirée de "l'Appel d'une mère", un texte de Claudine Munari, opposante et candidate à l'élection présidentielle du 20 mars.

Leslie Varenne
Directrice de l'IVERIS

Tags:
denis sassou nguesso; afrique, congo brazzaville, pool, afrique