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Et si on coupait les vivres à Daesh ?

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25 novembre, 2015
Tribune libre
Loïk Le Floch-Prigent


Ce qui est arrivé à Paris le 13 novembre 2015 exige de manière urgente que les autorités françaises demandent aux responsables des pays du Golfe Persique de prendre les mesures adéquates pour arrêter le financement de Daesh par les matières premières des territoires que cette organisation occupe. Puisque la COP 21 doit sauver la planète à partir du 30 novembre, profitons de ce moment pour, au moins, clarifier la position de chacun sur Daesh, ce sera aussi bon pour la planète ! 

Daesh en Irak et en Syrie, Daesh en Libye, Boko Haram au Nigéria et plus généralement dans le Sahel, les points communs de ces lieux de conflits sont l'Islam et le pétrole. Si les Américains ont investi l'Irak, si les mêmes, avec la France et la Grande-Bretagne, sont intervenus en Libye, c'est parce qu'il y avait du pétrole dans ces deux pays. Si, aujourd'hui, le chaos règne dans ces deux régions c'est que des erreurs ont été commises, erreurs qui tiennent au monde du pétrole. Il s'agit de pétrole (et de gaz), donc d'énormes intérêts financiers et de pouvoir, dans un monde qui est encore dépendant pour 50 % de cette énergie. Cette dépendance mondiale ne baissera pas rapidement quels que soient les rodomontades actuelles. En effet, les pays ont besoin d'énergie pour survivre et se développer. S'ils se précipitent d'abord sur les énergies fossiles c'est parce qu'elles sont les moins onéreuses et nous n'y pouvons rien, « ventre affamé n'a pas d'oreilles ».

Les erreurs historiques les plus sérieuses, qui nous valent les malheurs actuels, sont d'avoir considéré que notre ennemi principal était Saddam Hussein en Irak, puis Kadhafi en Libye, enfin Bachar al-Assad en Syrie… Si « nous sommes en guerre » aujourd'hui, c'est contre ceux qui nous attaquent directement, c'est-à-dire le Wahhabisme et les Etats qui soutiennent cette idéologie, l'Arabie Saoudite et les autres Etats ambigus, tels que le Qatar et la Turquie. Comme l'a pertinemment rappelé Eric Denécé dans sa dernière tribune, lors de l'attaque du 9/11, la majorité des assassins était saoudienne, Bin Laden était saoudien. Dans la mouvance salafiste/djihadiste des dernières années, il faut également ajouter le Soudan qui continue à saupoudrer son idéologie intégriste à travers le Sahel. La Turquie et le Qatar viennent allonger cette triste liste. Pour des raisons différentes, ils ont été, avec l'Arabie Saoudite, des acteurs majeurs dans le développement de l'intégrisme sunnite qui ravage les pays. Le Qatar avec ses prêches dans al-Jazzera et son argent pour soutenir dans un premier temps Daesh ; la Turquie pour n'avoir fait aucun effort pour arrêter le marché noir du pétrole de Daesh qui lui permettait, et lui permet encore, de disposer des fonds nécessaires à sa prise de pouvoir et aux combats qui ont suivi. Néanmoins, le premier Etat dont il fallait s'occuper était l'Arabie Saoudite. C'est intéressant de dire aujourd'hui qu'il faut protéger les citoyens français et européens, mais le « mal » principal n'a pas été traité. Rien n'a été fait, malgré tous les dangers que ce pays faisait peser sur l'Occident. Pourquoi ? Certes, ce pays très riche est le plus avide des biens occidentaux, mais c'est surtout parce qu'il est le leader de l'OPEP et donc le principal partenaire du monde pétrolier.  

 

Qu'est-ce que cela veut dire ? Depuis des lustres désormais, la production pétrolière est assurée par les Etats. L'Arabie Saoudite fournit 12% de la consommation mondiale. Les pays pétroliers, avec leurs compagnies nationales, exploitent 70% du pétrole ! Par conséquent les discours sur les « méchantes » compagnies privées pétrolières qui dominent le monde n'ont plus cours désormais, Rockefeller c'est fini ! Mais, car il y a un mais, les compagnies nationales ont recours à des compagnies de services pour  étudier, forer, trouver, exploiter, construire, anticiper. Ces compagnies ont pour noms Halliburton, Baker Hugues, Schlumberger, Transocean, Fluor, Weatherford, Bechtel, et  pour le matériel  une quantité d'entreprises mécaniques et électriques sont à l'œuvre. Ce sont les sous-traitants de tous les producteurs, nationaux ou privés. Les compagnies de trading, Vitol, Glencore, Trafigura, Gunvor, Mercuria sont les grandes gagnantes de la nouvelle donne pétrolière. Quand les USA décident d'aller pour la deuxième fois en Irak et d'éliminer Saddam Hussein, ce sont ces compagnies qui sont en première ligne et qui obtiennent les contrats rémunérateurs après la fin du Président irakien. Les compagnies pétrolières jouent la prudence car les contrats de production ne sont pas rémunérateurs. Seules les compagnies chinoises, sociétés d'Etat prêtes à tous les compromis pour satisfaire les besoins de leur pays, ont participé activement en investissant massivement pour augmenter la production du pays. Pour l'Arabie saoudite une augmentation trop importante de la production de l'Irak aurait été une catastrophe et dès la fin de l'invasion américaine en 2004, elle freine. Mais elle freine encore plus, lorsque l'Iran veut revenir en grâce quelques années plus tard, au moment où le gouvernement chiite de l'Irak se rapproche de Téhéran. La coupe déborde il y a cinq ans, quand la Syrie, dirigée par des Alaouites, donc des chiites particuliers laïques, se rapproche de l'Iran et envisage un débouché du pétrole iranien vers la Méditerranée à travers l'Irak et la Syrie. Le soutien de l'Arabie Saoudite aux sunnites de Daesh contre les alaouites de Syrie a cette angoisse pour origine. Les nouveaux dirigeants de ce pays semblent regretter désormais cette position; aujourd'hui, eux-mêmes ont peur du monstre Daesh qu'ils ont contribué à créer et veulent construire un mur. Pourtant à l'intérieur du Royaume, il reste des soutiens à Daesh, ainsi ce qui a commencé au niveau gouvernemental est loin d'être terminé !

Le Qatar est dans une autre logique. Le petit Emirat sunnite ne veut pas se faire avaler par le royaume saoudien et veut montrer sa force de façon permanente. Ils ont la télévision la plus regardée au Moyen-Orient, al-Jazzera, l'argent du gaz, ils sponsorisent le sport et entretiennent leurs relations diplomatiques montrant ainsi leur modernisme par rapport au grand royaume. Ce sont les « challengers » permanents qui agacent les grands et leur montrent partout leur capacité de nuisance. Ils savent progresser tandis que les autres continuent à régresser avec leur police religieuse et leurs sanctions médiévales. Ils sont donc en compétition, le wahhabisme d'un côté, les Frères Musulmans de l'autre… Ils soutiennent donc Daesh en Syrie, mais ils ont aussi soutenu d'autres groupes djihadistes contre le régime libyen et se retrouvent à la lisière de Boko Haram et d'Aqmi. Avoir des revenus pétroliers et gaziers peut servir aussi bien à s'acheter le PSG qu'une virginité sunnite en soutenant les « Frères » !

En ce qui concerne la Turquie, la situation est plus compliquée encore. Leur rêve est de revenir à la domination ottomane. Ils méprisent  les Arabes. Les affairistes turcs ont été parmi les grands trafiquants du pétrole pendant la période d'embargo de l'Irak sous le pouvoir de Saddam Hussein. Ils  savent y faire. Ils reprennent donc instantanément du service lorsque Daesh prend le contrôle des puits ou des raffineries. L'achat du pétrole et son acheminement par camions se déroule comme au bon vieux temps de Saddam Hussein et pendant que le monde entier se lamente des avancées des djihadistes jusqu'au contrôle de Mossoul, Daesh vend 70 000 barils/jour aux trafiquants turcs. La Turquie raffine également ce pétrole de contrebande. L'organisation de l'Etat islamique solde le brut à moitié prix soit, à 25 dollars le baril. Résultat : ce sont deux milliards par an qui arrivent dans les caisses de Daesh et tout le monde ferme les yeux. Les Turcs sont les trafiquants les plus importants mais ils ne sont pas les seuls, d'autres pays du Moyen-Orient profitent de la manne. Or, contrairement à ce que tous les politiciens et les journalistes occidentaux affirment, le pétrole est traçable, comme la viande de cheval ! Si l'on veut savoir qui achète à prix cassés depuis plus d'un an et demi le pétrole de Daesh, on le peut. Il suffit de décider de faire des analyses à l'entrée des raffineries, entreprise aisée puisque tous ces gisements ont été découverts par les pétroliers occidentaux. Si l'on ne sait pas, c'est que l'on ne veut pas savoir car d'autres intérêts, plus impérieux sans doute, sont en jeu. Pour bien se faire comprendre : chaque gisement a son ADN ! Pour arrêter le robinet financier pétrolier de Daesh, il suffit de le décider, et c'est sans doute le meilleur cadeau que pourraient faire au monde les Saoudiens, les Qataris et les Turcs, puisqu'ils déclarent désormais être solidaires de nos objectifs.

Tags:
etat islamique, arabie saoudite