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Refus de la fusion Alstom/Siemens, une chance pour la France ?

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07 février, 2019
Note d'analyse
Loïk Le Floch-Prigent


Lorsque le 6 Février, Margrethe Vestager, la Commissaire Européenne à la Concurrence met son veto à l'absorption d'Alstom-Transports par Siemens, c'est peu de dire qu'elle ne reçoit les félicitations ni de la presse ni des gouvernements de l'Union européenne. Cependant cette position, attendue depuis quelques semaines, peut donner en cette année d'élections européennes une nouvelle chance à la fois à la France et à l'Europe de devenir sérieux en matière de politique industrielle. 

 

 

A la France d'abord qui se débat sur le dossier Alstom depuis des années en allant de catastrophe en catastrophe puisque de positions mondiales connues et reconnues elle a réussi à dilapider un potentiel exceptionnel en une dizaine d'années. Après la vente des pépites d'Alstom-Energies à General Electric, Alstom-Transports était bien petit pour résister à la concurrence internationale et se devait de se trouver un allié. Mais c'est en position de faiblesse que la société française abordait cette nouvelle phase de son histoire et c'est une vente à Siemens qui est apparue la seule solution. Le transport ferroviaire est une industrie cyclique avec des dépenses fortes dans la préparation commerciale et les réponses aux appels d'offres, il faut donc avoir les reins solides pour envisager un grand développement international. Les Chinois de CRRC s'assoient sur un marché intérieur énorme et le soutien de l'Etat, Siemens sur un ensemble de fabrications cycliques et contre cycliques, il en va de même pour le Canadien Bombardier, et le petit Alstom a perdu son département Energies qui représentait 70% du chiffre d'affaires du Groupe ainsi que le soutien inconditionnel de l'Etat comme de son actionnaire principal Bouygues. Quel que soit le carnet de commandes actuel, la situation d'Alstom-Transports est instable et il faudra bien s'en préoccuper. Dans le domaine de l'énergie l'entrée d'Alstom dans le groupe General Electric est loin d'être un succès. Le groupe Américain a beau battre l'estrade pour expliquer combien il respecte la France et les Français, tout se déglingue, aussi bien l'hydraulique (les meilleures turbines mondiales il y a peu), les réseaux ou « grids » et le département « vapeur » qui inclut les turboalternateurs Arabelle, merveille assumée de la technologie nationale. La nouvelle direction de General Electric se plaint de son acquisition française, offre 50 millions pour ne pas tenir ses promesses sur l'emploi (une plaisanterie !) et tout est en place désormais pour envisager une véritable négociation avec les Américains pour retrouver notre souveraineté électrique et nucléaire. Encore faut-il trouver le négociateur et retrouver une volonté industrielle nationale. Il ne faut pas oublier l'autre démembrement d'Alstom, les Chantiers de l'Atlantique, cédés dans des conditions surprenantes aux Italiens de Ficantieri. On voit qu'un groupe Français peut se reconstituer, il lui faut dans un premier temps l'aide de l'Etat et la volonté de l'Etat, la BPI, banque pour l'investissement pourrait être son bras armé en la circonstance. Et ainsi, sans le savoir vraiment, Madame Vestager mériterait notre reconnaissance.

A l'Europe ensuite car la politique suivie par Madame Vestager est celle des Etats, elle n'a rien inventé, elle suit les textes que les Etats ont confié à la Commission. Les cris d'orfraie des gouvernements français et allemand sont hypocrites, c'est bien cette vision d'une concurrence intra-européenne qui a été décidée par les gouvernements européens et qui a déjà fait de multiples dégâts, même si leur nombre est réduit comme il est souligné par la Commission. Les gouvernements n'ont pas décidé de protéger l'Europe des Américains, des Chinois, ni des Japonais et c'est une erreur dramatique. Ainsi General Electric a pu racheter Alstom sans problème majeur, certaines fabrications ont été cédées à l'Italien Ansaldo, à la demande de la Commission ce qui a permis aux Chinois de rentrer dans Ansaldo ! Beau succès ! Les Américains ont initié avec leur Département de la Justice des procédures contre l'industrie européenne, Siemens a failli sombrer, Alstom a mordu la poussière, Airbus tangue, et on ne compte pas les entreprises plus moyennes qui ont fini dans les bras des entreprises américaines, les Japonais ont incarcéré Carlos Ghosn, on attend toujours les réactions de la Commission à ce déni de fonctionnement du capitalisme mondial puisque l'actionnaire de référence possède 43,4 % et avec Daimler 3,9% de plus sans pouvoir convoquer une assemblée générale ! Les Chinois viennent faire leurs emplettes dans les nouvelles technologies, les robots allemands de KAKA, par exemple, sans que la Commission ne se saisisse du dossier, le tout à l'avenant. Il est donc temps que les gouvernements se réveillent et définissent une nouvelle politique européenne industrielle en modifiant les règles données à Madame Vestager.

Il nous faut conserver des champions français, quoi qu'en disent les technocrates mondialistes, et il nous faut garantir là aussi la possibilité de champions européens car désormais nous ne pouvons pas ignorer la puissance de la Chine et le nationalisme exubérant des USA. Pour cela il nous faut définir une mutualisation européenne sur les grands marchés extérieurs sans que les personnalités des champions nationaux en soient atteintes. Par exemple, dans l'hydraulique les trois concurrents européens doivent garder leur fonctionnement autonome, l'allemand Voith, l'autrichien Andritz et le français Alstom, mais l'attaque des marchés du Moyen-Orient et des pays de l'Est devrait se réaliser avec une incitation européenne à réaliser une offre commerciale conjointe pour se donner une assurance de succès. En ce sens, le Président de Siemens avait ouvert la voie, en considérant qu'Alstom-transports, compte tenu de sa notoriété devait assurer le leadership pour l'extérieur, mais était-il nécessaire de réaliser une fusion ? L'insuccès de beaucoup de ces opérations célébrées par les analystes financiers devrait nous inciter à la prudence et l'exemple donné par l'alliance entre Nissan et Renault devenue premier constructeur automobile mondial montre que la mutualisation, la synergie entre alliés se respectant est un gage de succès. Espérons que les cris actuels contre Madame Vestager se taisent et que la raison industrielle l'emporte. Chaque entreprise a ses rites, ses points forts, sa personnalité nationale, et les monstres issus des grandes fusions débouchent souvent sur des drames et des résultats médiocres, Holcim plus Lafarge dans le ciment par exemple.      

Tags:
alstom, arabelle