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De l’EaU dans le gaz entre Washington et Moscou

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01 juillet, 2018
Note d'analyse
Bruno Husquinet


Dans un article récent de géo-économie, le spécialiste de la Russie Gordon Hahn dénonce une guerre du gaz, dans laquelle les trois protagonistes, l'Europe, la Russie et les Etats-Unis ont des intérêts différents. Comme l'avait déclaré le ministre belge des Affaires Etrangères Didier Reynders, le 14 novembre 2016, l'élection de Donald Trump représentait une occasion pour l'Europe de s'unir et de définir ses propres priorités face à une économie américaine pesant dix-neuf billions de dollars

 

 

Mais la maison européenne peine à s'entendre, dans un contexte économique difficile, sur les questions épineuses liées au Moyen orient, et à la crise migratoire. L'Europe est de plus en plus mal à l'aise, coincée entre le Brexit, un voisinage proche instable et une Russie repositionnée sur la scène internationale, sans oublier l'ombre chinoise. Ainsi, malgré les tensions russo-occidentales des dernières années, l'Europe a besoin des immenses réserves naturelles russes et veut conserver une relation diplomatique et économique. Selon le site Connaissances des énergies, les exportations de Gazprom vers l'Europe pourrait d'ailleurs atteindre les 200 milliards de mètres cubes en 2018.

Le nerf de la guerre, c'est donc l'énergie. A juste titre, tous les Etats se préoccupent de leur approvisionnement en énergie et essaient de diversifier leurs sources pour éviter la dépendance envers un seul fournisseur. Selon la Stratégie Européenne pour la Sécurité Economique publiée en mai 2015, « six États membres dépendent de la Russie en tant que fournisseur extérieur unique pour la totalité de leurs importations de gaz […]. La Russie a exporté 71 % de son gaz en Europe, ses deux principaux clients étant l'Allemagne et l'Italie. »

Malgré la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie, les importations de gaz russe ont augmenté pour atteindre 35% des parts de marchés, selon Les Echos. Ceci ne se déroule pas sans son lot d'embuches. Suite aux sanctions contre la Russie en 2014, le projet South Stream a été frappé de plein de fouet, les projets de construction stoppés net, enterrant les investissements et les emplois liés ; la Bulgarie a été la première victime. Pour la Russie, il s'agissait de trouver un autre partenaire que les pays européens et la Turquie y a vu son intérêt. Certes, les dents ont grincé pour accorder les violons turcs et russes car les négociations se sont déroulées sur fond de crise syrienne. Mais la realpolitik l'a emportée. South Stream a été ressuscité en Turkish Stream et le gaz russe rentrera donc en Europe par les Balkans.

North Stream II, quant à lui, n'a pas encore vu le jour, le projet tant défendu par l'Allemagne est honni par les Américains. Plusieurs sénateurs dont Ted Cruz, Marco Rubio et John Mc Cain tentent de miner ce projet en utilisant l'Acte de sanctions pour lutter contre les adversaires des Etats-Unis (CAATSA). Cependant, la saga du pipeline a des chances de prendre une tournure positive suite à l'accord entre Gazprom et la Commission européenne concernant la position dominante de Gazprom dans les accords gaziers. Cet accord stipule que Gazprom ne peut plus imposer de restrictions sur les pays acheteurs, mais en contrepartie le géant russe est libéré d'une amende de plusieurs milliards. Selon l'analyste Tim Daiss, c'est une victoire de la Russie sur les producteurs de GNL.

Cet accord est une nouvelle pomme de discorde entre les pays de l'Union européenne. D'abord, la Lituanie qui tente de sortir de sa dépendance totale envers la Russie, s'y est fortement opposée. Sa position est cohérente puisqu'elle est le premier pays ex-socialiste à avoir importé du gaz liquéfié américain en 2017. Les amateurs d'intrigues se demanderont par ailleurs si c'est une coïncidence que Vilnius abrite le Centre d'excellence pour la sécurité énergétique de l'OTAN. L'autre grand pourfendeur de l'accord, est la Pologne, Varsovie se militarise à grands pas pour contrer la Russie, proclame-t-elle. En parallèle, la Pologne s'aligne sur les intérêts gaziers américains en Europe, comme en témoigne sa proximité avec le lobbyiste américain, LNG Allies. La fidèle alliée américaine rêve de devenir le port d'entrée du gaz américain en Europe avec son terminal de LNG à ÅšwinoujÅ›cie. Quelques travaux sont certes nécessaires pour la connecter aux réseaux européens existants, dont slovaque, et desservir l'Europe. L'ironie veut que ces travaux se fassent grâce aux 100 millions de subsides de l'Union européenne. Ici encore, les afficionados de cabales se régaleront de savoir que la société polonaise de gaz et pétrole (la PGNiG) a signé un accord avec Cheneire Energy, la seule société américaine ayant à ce jour les permis nécessaires pour exporter la gaz naturel américain.

North Stream II doit aussi faire face à une résistance ukrainienne. La compagnie ukrainienne Naftogaz a décidé de forcer l'application de la décision du tribunal de Stockholm exigeant de Gazprom le versement de 2,6 milliards de dollars, notamment en demandant la saisie des biens des opérateurs de North Stream I et II en Suisse. Même le dilettante en magouilles appréciera le fait que le fils de l'ancien vice-président américain Joe Biden, Hunter Biden est directeur de la société Burisma, une entreprise proche de la Naftogaz.

Certes Gazprom est le fournisseur dominant de gaz en Europe ; mais au vu de l'attitude américaine, est-il raisonnable de miser sur les Etats-Unis ? D'autant que le gaz russe reste le plus compétitif. Enfin, s'il est légitime de tenir compte du risque que représente la dépendance de l'Europe face à la Russie, l'approvisionnement de gaz russe n'a jamais été interrompu, comme le remarque un analyste de la Deutsche Bank, si ce n'est avec l'Ukraine dans un cadre politico-économique très spécifique.

En résumé, North Stream II va d'Est en Ouest et le GNL américain d'Ouest vers l'Est. Deux courants à polarité inverse qui risquent de faire des étincelles. Pour paraphraser Clausewitz, la guerre économique est la continuation d'une politique concurrentielle, mais avec d'autres moyens.

 

Bruno Husquinet

 

 

 

 

Tags:
europe, russie, etats-unis