Guerre au Soudan : la Centrafrique doit se préparer à des lendemains difficiles

Note
Les derniers développements de la guerre au Soudan confirment la dynamique de victoire dans laquelle s'est inscrite l'armée soudanaise depuis plusieurs semaines. L'affaiblissement, voire la défaite de son ennemi, le groupe paramilitaire d'Hemedti, entraînera des répercussions dans plusieurs États de la région, dont la République centrafricaine. D'autant que son président Faustin-Archange Touadéra prend des paris diplomatiques risqués.
Tout au long de la semaine écoulée, l'armée soudanaise (SAF) du général al-Burhan, représentant le gouvernement légitime, a reconquis plusieurs territoires stratégiques dans les régions de Khartoum, du Nil Blanc et du Nord-Kordofan. Néanmoins, il est encore beaucoup trop tôt pour envisager la fin de ce conflit dévastateur, d'autant qu'à chaque fois que les Forces de soutien rapide (RSF) d'Hemedti se trouvent en difficulté, leur allié, les Émirats arabes unis, renforcent leur aide de toute nature : diplomatique, financière et en équipement militaire.
Cependant, les avancées majeures des SAF laissent tout de même entrevoir une possible évolution dans le Darfour, encore majoritairement contrôlée par les paramilitaires d'Hemedti. Cette région est cruciale dans ce conflit, non seulement pour le gouvernement soudanais mais également pour deux des États frontaliers : le Tchad (voir la note consacrée à ce pays) et la Centrafrique.
En effet, comme au Tchad, les populations de chaque côté de la frontière entre le Darfour et la Centrafrique sont les mêmes, avec les mêmes divisions ethniques entre Arabes, Zaghawas, Peuls et Massalits. De plus, la préfecture du Vakaga, située dans le septentrion, est pratiquement inaccessible pendant la longue saison des pluies. L'armée centrafricaine, tout comme la mission de maintien de la paix des Nations Unies (MINUSCA), présente dans ce pays depuis 2014, s'y aventure rarement. Cette région classée en zone rouge est donc un chaudron dans lequel les RSF mènent des incursions et où se côtoient des trafiquants de toutes sortes et des groupes armés rebelles tchadiens et centrafricains. Les uns apportent leur soutien aux RSF, les autres aux SAF, ce qui donne lieu à des combats entre chaque faction. Et comme si la situation n'était pas suffisamment complexe, ces mêmes groupes peuvent changer d'allégeance en fonction des rapports de force et surtout des avantages financiers.
Ces « rebelles » ne sont pas les seuls à être des adeptes du retournement de veste. Au début de la guerre au Soudan en avril 2023, le président Touadéra a soutenu Hemedti. À partir du début de l'année 2024, il a cherché un rapprochement avec le général al-Burhan, poursuivant ses efforts pendant de longs mois en espérant qu'en échange, il obtiendrait l'arrestation par Khartoum des chefs rebelles qui circulent aux confins des deux pays. En vain. Selon un diplomate d'Afrique centrale, il aurait, en ce début 2025, changé une nouvelle fois de position en passant un accord avec les Émiratis. C'est un revirement risqué pour au moins deux raisons.
Première difficulté : Même si la République centrafricaine s'est rapprochée de la France l'année dernière, elle est toujours soutenue par les Russes. Or, après être restés au milieu du gué au début du conflit soudanais, ces derniers ont clairement pris position pour le général Al-Burhan l'année suivante. Au passage, au mois de février 2025, Moscou a obtenu l'autorisation de construire une base navale à Port-Soudan. Le changement de pied du président Touadéra n'arrange donc pas les affaires du Kremlin et complique la tâche des mercenaires de Wagner qui opèrent dans ce pays avec un statut particulier.
Petit retour en arrière pour mieux comprendre le statut de cette société militaire privée en Centrafrique. À la mort du patron de cette entreprise, Evgueni Prigojine, en août 2023, ses hommes ont été sommés par les autorités russes de choisir d'être reversés soit dans l'armée, soit dans une nouvelle entité nommée Africa Corps. Dans certains pays, comme la Libye et la Syrie, cela s'est produit sans heurt. Au Mali, en revanche, les mercenaires sont entrés en dissidence complète et n'ont plus aucun lien avec Moscou. Ils ne répondent qu'aux autorités de Bamako. En Centrafrique, la situation est un peu différente. Ils sont toujours identifiés comme des hommes de Wagner, ne sont pas sous les ordres du ministère de la Défense russe, mais gardent des canaux de discussion ouverts et, selon un fin connaisseur de ces questions, ils ont pris l'engagement de ne pas nuire aux intérêts de la mère patrie.
Par conséquent, même si à l'époque de Prigojine, Wagner avait conclu un accord commercial avec Hemedti pour le contrôle des mines d'or du Darfour, ces mercenaires suivront la politique de la Russie. Le nouveau revirement de Touadéra leur complique sérieusement la tâche. Quelle position adopteront-ils ? Se contenteront-ils de séparer les belligérants, comme ils l'ont fait en janvier dernier dans le nord du pays ?
Seconde menace, et non des moindres : plus les RSF seront en difficulté dans le Darfour, plus ils s'enfuiront vers les pays voisins, notamment vers la Libye du maréchal Haftar qui les soutient, et bien évidemment vers la Centrafrique. Des sources tchadiennes au Soudan confirment d'ailleurs que certains des éléments d'Hemedti ont déjà pris la poudre d'escampette. Arrivés dans la Vakaga, ils seront combattus par les groupes qui soutiennent l'armée soudanaise, qui sans nul doute bénéficieront en retour de l'aide de cette dernière. Les rebelles centrafricains opposants au président Touadéra ne manqueront pas d'y voir une opportunité alors que le climat commence à se tendre à l'aune de l'élection présidentielle qui devrait se tenir à la fin de l'année 2025. Le pays, qui a commencé à relever la tête après de longues années de crises, pourrait retomber dans ses travers.
Deux pas en avant, trois pas en arrière, la Centrafrique n'est pas prête de sortir de l'ornière.
Leslie Varenne