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Un président qui ne sait pas qu'il ne sait pas

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14 février, 2025
Note
Leslie Varenne


Introduction du livre "Emmanuel au Sahel, itinéraire d'une défaite" publié aux éditions Max Milo 

Emmanuel Macron prononce le discours d'investiture de son premier quinquennat le 14 mai 2017. Le lendemain, il est à Berlin, étape devenue singulièrement rituelle pour chaque nouveau locataire de l'Élysée. Quatre jours plus tard, il débarque sur la base de Barkhane à Gao, au Mali. Sur le plus grand théâtre d'opération de l'armée française, en costume et cravates sombres, sur fond des tentes couleur sable et du matériel militaire, il prend la parole . Le nouveau président endosse le rôle de chef des armées et en assume « l'immense responsabilité ». L'attitude est raide, les gestes sont tranchants, le verbe suit la posture.

 

 

 

Sa « détermination complète », son « engagement résolu » s'exprime dans un discours martelé comme une suite d'engagements : « l'opération Barkhane ne s'arrêtera que le jour où il n'y aura plus de terroristes islamistes dans la région et où la souveraineté pleine et entière des États du Sahel sera restaurée. Pas avant. » Utilisant abondamment la première personne du singulier, il assène : « Je veux que tout ce qui est inscrit dans les accords d'Alger soit appliqué ». Il sera « un chef exigeant » avec ses partenaires sahéliens et algériens qui ne peuvent autoriser à manifester quelque faiblesse que ce soit à l'égard de groupements terroristes. « C'est simple », ajoute-t-il, « je ne suis pas plus compliqué que cela. »

Président depuis cinq jours, il a la solution : « La clé de tout cela, c'est de construire la paix si on veut désengager nos forces armées, c'est d'avoir une feuille de route diplomatique qui permet la stabilisation et j'œuvrerai sur le plan diplomatique sur deux sujets en particulier, la Libye […] et la Syrie. » Il conclut « Ce n'est pas plus compliqué que cela »… Il profite de ce premier discours hors du vieux continent pour louer la coopération franco-allemande et lancer un message à l'Europe pour qu'elle prenne toute sa part dans le combat sahélien : « La France ne peut assurer seule la sécurité de l'Europe face aux terroristes. »

Avant de quitter les lieux, le chef de l'État annonce un sommet sur le Sahel, une de ces grands-messes qu'il affectionnera tout au long de ses quinquennats. Puis, après un petit tour d'hélicoptère au-dessus du fleuve Niger, le président français s'en va. Ce passage à Gao aura duré six heures chrono. Six heures comme un film en accéléré où tout, dans son attitude avec son homologue, dans la posture, le discours, le choix des mots, préfigure la manière dont Emmanuel Macron gère les affaires internationales. À ce titre, la guerre au Sahel aura été un formidable révélateur de tous les dysfonctionnements de sa politique étrangère du continent africain au Moyen-Orient. Cinq ans après ce discours inaugural, alors que les « terroristes islamistes » occupaient toujours plus de territoires, l'opération Barkhane quittait le Mali, dans la foulée elle était sommée de plier bagage au Burkina Faso puis au Niger.

Le volontarisme affiché du président s'est fracassé sur le mur des réalités. Au fil des ans, les rangs des djihadistes se sont renforcés. Les militaires français n'ont pas failli, l'armée a fait le job, multiplié les victoires tactiques, sans remporter pour autant de succès stratégique. Car à l'heure du bilan, ce n'est pas le nombre de chefs « neutralisés » qui comptent, c'est l'espace conquis par les groupes armés. C'est le nombre de morts civils et militaires, le nombre de villageois déplacés, le nombre de réfugiés qui comptent. Des chiffres qui ont enflé année après année. Ce qui compte, c'est la situation toujours plus explosive tant d'un point de vue sécuritaire que démocratique. En Afrique comme au Moyen-Orient, les crises internationales n'ont fait aucun cadeau à Emmanuel Macron. Toutes les fautes commises lui sont  revenues comme un boomerang, toutes les portes qu'il a essayé d'ouvrir pour sortir des pièges dans lesquels il est tombé sont restées fermées.

L'Europe ? Le constat est sans appel : elle n'a pas été au rendez-vous. La coopération franco-allemande ? Sans surprise, Berlin un joué solo. Libye, Syrie ? La paix, c'est la guerre et la guerre c'est la paix…

Ce livre est l'histoire d'un président qui ne sait pas qu'il ne sait pas. Il ne choisit donc pas ses collaborateurs en fonction de leurs compétences et de leurs parcours passés. Il décide seul sans s'appuyer sur l'expertise de la diplomatie française et sur l'histoire de la France, un héritage qui lui a pourtant permis d'être un chef d'État qui compte sur la scène internationale. Emmanuel Macron n'a su saisir ni les chances ni les opportunités. Il n'a jamais adopté le bon ton, jamais été dans le tempo, au bon moment, au bon endroit.

Pourtant, lorsqu'il est arrivé au pouvoir, celui qui fut le plus jeune président de la République avait un boulevard devant lui. Les constats étaient posés et clairs. Les tremblements de l'ordre ancien se faisaient déjà sentir, la voix de la France aurait pu être un trait d'union entre un Occident déclinant et un Sud renaissant. Derrière le paravent des déclarations aussi surprenantes que contradictoires, « en même temps », il s'est, en réalité, contenté de mettre ses pas dans ceux de ses deux précédents. Comme Nicolas Sarkozy et François Hollande, il a aligné la politique étrangère de la France sur celle des États-Unis, altérant encore un peu plus la voix singulière de Paris.

En Afrique, après les guerres de 2011 en Libye et en Côte d'Ivoire, le rejet de la politique française avait déjà atteint un niveau alarmant. En 2017, les chancelleries de l'espace francophone alertaient régulièrement le Quai d'Orsay à ce propos. Pourtant prévenu, Emmanuel Macron n'a, semble-t-il, pas pris la mesure des griefs et a accumulé les fautes, portant ainsi la contestation jusqu'au point de rupture. À travers la gestion de la guerre au Sahel, ce livre est aussi une autopsie du déclassement français. D'une technocratie kafkaïenne, de décisions absurdes, de lignes rouges tracées dans le sable du Sahara en convocations comminatoires de chefs d'État africains, de coups d'éclat en coups d'État, l'Élysée a poursuivi une politique aussi erratique qu'arrogante. Le dirigeant français et ses ministres successifs des Armées et des Affaires étrangères ont agi comme au siècle dernier, sans prendre en compte le désir de changement des populations, les bouleversements du monde et la disparition des zones d'influence.

La personnalité du chef de l'État a aussi beaucoup compté. En politique internationale, la petite histoire se confond avec la grande. Les relations souvent tendues, parfois exécrables, d'Emmanuel Macron avec ses homologues africains ont également contribué à précipiter l'arrivée de nouveaux arrivants dans la région. La Russie s'est engouffrée dans la brèche de toutes les erreurs de Paris, notamment lors du deuxième coup d'État au Mali, en mai 2021, et dans celle du putsch au Niger de juillet 2023. Elle n'a pas été la seule à se réjouir des malheurs français. De l'Inde à la Turquie en passant par l'Iran et les pays du Golfe, ils sont nombreux à vouloir participer au festin de « l'ancien pré carré ». La disgrâce française a également suscité des appétits chez les alliés, de Washington à Berlin, de Rome à Budapest puisque même la Hongrie s'est entichée de l'Afrique.

La fin des zones d'influence s'inscrit dans un nouvel ordre du monde, c'est le sens de l'histoire. Les élucubrations de la diplomatie française depuis deux décennies auront permis de couper les derniers liens de l'ère des empires coloniaux, et c'est tant mieux. Cependant, cela aurait pu advenir autrement. Car les conséquences pour la France sont majeures, toutes ne sont pas encore visibles. Il ne s'agit pas seulement de la perte des 14 voix des pays francophones aux Nations unies, il s'agit également de son affaiblissement au sein de l'Union européenne, d'une diminution de sa présence au sein des organisations multilatérales. Une foule de réactions en chaîne qui pourrait mener à la perte de son siège au Conseil de sécurité. Que restera-t-il de la puissance française après deux mandats du président Macron ? Comment restera-t-il dans l'histoire ? Le jeune homme, qui avait les clés, a claquemuré la France dans un réduit. Ce livre n'est pas seulement l'itinéraire de la défaite d'un président, c'est aussi celui de l'échec de tout un pays.