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Lueur d’espoir au Mali avec les tentatives de réconciliation entre Peuls et Dogons

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16 octobre, 2020
Note
Leslie Varenne


Les conflits entre Dogons et Peuls en cours dans le centre du Mali sont-ils en voie de résolution ? Si la paix est souhaitée par une majorité de personnes dans tous les camps, il reste des récalcitrants et une montagne de défis.

 

Crédit photo : IVERIS

 

Les 18 et 19 septembre 2020, une grande rencontre pour la paix et la réconciliation a eu lieu à Ségou sous le haut patronage du Cheick Lassana Kané, grand marabout et chef spirituel des Soufis du Mali. Dans ce pays, il n’y a pas eu de gouvernement entre juin et octobre, mais en réalité, cela fait beaucoup plus longtemps que les populations des deux tiers du territoire sont livrées à elles-mêmes. Il n’est donc pas étonnant que telles initiatives soient portées par des chefs religieux et traditionnels, des associations ou de simples acteurs de terrain qui tentent de trouver par eux-mêmes des solutions pour sortir leur pays de l’ornière. Un des participants ose même avouer, en aparté et mezzo voce, que « c’est parce qu’il n’y a plus d’État qu’il y a des accords de paix, sinon il aurait encore instrumentalisé l’affaire ».

Assistaient à cet événement l’association peule Tabital Pulaaku, les Dogons avec la représentation de Ginna Dogon de Ségou, des Dozos (chasseurs traditionnels), des leaders religieux, y compris l’imam Dicko – figure du mouvement de contestation qui a participé à la chute du président Ibrahim Boubacar Keïta(IBK) –, venu soutenir l’initiative de son ami Lassana Kané, et Oumar Mariko, le président du parti Sadi. Ousmane Ag Rhissa, l’ambassadeur du Mali en Côte d’Ivoire, était présent également. La rencontre a été financée par un riche commerçant dogon installé à Abidjan. Les autorités ivoiriennes redouteraient que le conflit Peuls/Dozos ne s’exporte dans leur pays. Une crainte surprenante car le risque est faible, voire infinitésimal. En réalité, il est plus probable qu’elles craignent que certains chasseurs traditionnels maliens qui ont apporté leur aide lors de la guerre de 2011 aux Forces nouvelles de Guillaume Soro ne soient instrumentalisés et reprennent du service en cette période préélectorale troublée.

Lors de leurs discours respectifs, tous les participants ont célébré la diversité, la différence, les spécificités, les subtilités maliennes, la cohabitation et le brassage harmonieux qui existaient avant la guerre de 2012. Les liens sociaux complexes qui permettent de résoudre les conflits ont également été mis en avant, rappelant ainsi que seules des négociations entre Maliens peuvent aboutir.

Ce n’est certes pas la première initiative de paix. Depuis 2018, il y a eu une foultitude de traités locaux, aidés, pour certains, dans leur mise en œuvre par l’ONG Humanitarian Dialogue (HD). Tous les jours, de nouveaux accords se concluent puis peinent à être appliqués, ils se font et se défont aussi rapidement. Il n’empêche, tous les participants ont fait état d’une vraie volonté de déposer les armes. Certains ont même voulu voir dans la rencontre de Ségou un tournant historique décisif pour le Mali car si la paix et la réconciliation s’opèrent dans le Centre, considéré comme un point de suture entre le Nord et le Sud, elles pourraient s’étendre à tout le territoire.

Il règne déjà une certaine accalmie dans quatre des cercles de la région de Mopti : Bankass, Bandiagara, Koro et Douentza. Néanmoins, la situation est inextricable et très différente selon les zones et les forces en présence. Tout est mélangé.

Les habitants, qu’ils soient Peuls, Bozos, Bambaras ou Dogons, aspirent à la paix, veulent pouvoir se déplacer sans risquer leur vie, cultiver leurs champs et que tous ceux qui ont fui leur village puissent y revenir. Certains campements sont totalement désertés, dans d’autres endroits, il ne reste plus que les femmes, les personnes âgées et les enfants, il n’y a donc plus de bras valide pour l’agriculture ou l’élevage; les jeunes s'étant engagés du côté des djihadistes ou des groupes d’autodéfense. Dans chaque camp se trouvent aussi des coupeurs de route, des rançonneurs et des voleurs de bétail.

Actuellement, le plus hostile à la paix est Youssouf Toloba, le chef de Dan Na Ambassagou, branche armée du groupe d’autodéfense dogon composé de Dozos. Toloba ne veut pas entendre parler d’accord de paix. Dans un message vidéo posté le 27 septembre, il donne un ultimatum aux nouvelles autorités de Bamako en réclamant une intervention de l’armée dans le Centre : si d’ici à 15 jours il n’a pas de réponse, il plantera son drapeau et ira rejoindre les mouvements indépendantistes de l’Azawad !

En agissant ainsi, Youssouf Toloba tente de faire pression sur le Comité national de salut du peuple (CNSP), qui a renversé IBK, et lui rappeler qu’il existe. Depuis le coup d’État du 18 août, c’est devenu un sport national, chacun essaye de se faire une place et de compter dans le nouveau système. Mais c’est aussi une manière de reprendre la main alors qu’il est affaibli et contesté par les Dogons eux-mêmes. Deux messages vocaux enregistrés par des notables du cercle de Koro et diffusés sur les messageries privées détaillent les crimes commis par Youssouf Toloba et sa milice dans village de Berdosso depuis avril 2020. Les deux personnalités en arrivent aux mêmes conclusions : il faut arrêter Toloba, il faut désarmer la milice. D’autant que Dan Na Ambassagou n’hésite non plus pas à commettre des assassinats ciblés sur ceux qui œuvrent à la réconciliation.

 

Crédit photo : IVERIS

« Nous qui travaillons aux négociations, nous sommes pris en étau des deux côtés, mais aujourd’hui, nous avons plus de facilité à rencontrer les djihadistes que les Dozos. Au début, c’était un groupe d’autodéfense, maintenant c’est une milice de bandits, de voleurs de bétail. S’il y a la paix, ils ne pourront plus prospérer », déclare un enseignant de la région de Mopti.
Par ailleurs, les Peuls qui ont rejoint le groupe djihadiste Katiba Macina d’Hamadou Kouffa souhaitent faire la paix mais à leurs conditions : hors de question de voir l’État revenir, ni armée, ni école, ni administration, et les habitants ne doivent pas parler français ni s’habiller à l’européenne.  

Cette forme de paix est-elle acceptable ? Pour la majorité des populations, il est urgent d’arrêter les combats, d’en finir avec les drames à répétition et de continuer à négocier. Les participants à la rencontre de Ségou s'attachent à rendre possible ces négociations. La libération de 100 prisonniers djihadistes intervenue le 5 octobre pour obtenir celle du chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé et de l’otage française Sophie Pétronin, montre que les canaux de discussion sont toujours ouverts. L’espoir pour la paix et la réconciliation dans le Centre est toujours de mise, même si chacun sait que le chemin sera long et difficile.

Leslie Varenne

Tags:
afrique de l'ouest, mali; sahel