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CPI : le film n'est pas fini...

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27 septembre, 2018
Note
Leslie Varenne


A la tribune de l'assemblée générale des Nations Unis, Donald Trump, s'est livré à une sévère saillie contre la Cour Pénale Internationale (CPI). Cette institution n'a à ses yeux « aucune légitimité, aucune autorité », les USA « n'abandonneront jamais la souveraineté américaine à une bureaucratie mondiale non élue et irresponsable ». Ces propos confortent ceux tenus quelques jours plus tôt, par son conseiller à la sécurité nationale, John Bolton. Cette institution est d'autant plus fragilisée par ces déclarations tonitruantes, que les principaux Etats qui la financent, Japon, Royaume-Uni, Allemagne, France, ne l'ont pas ou peu soutenu lors de ces attaques. En attendant, de savoir à quelle sauce elle va être mangée, la CPI poursuit ses travaux et a un rendez-vous très attendu le 1er octobre avec la Côte d'Ivoire.


De gauche à droite, Charles Blé Goudé, Laurent Gbagbo, le représentant du procureur, Eric MacDonald, et la procureur Fatou Bensouda.

Ce 1er octobre est une date inscrite depuis des mois dans l'agenda des partisans de Laurent Gbagbo, et de Charles Blé Goudé. L'ancien Président est incarcéré à la Haye depuis novembre 2011, son ex ministre depuis mars 2014, leur procès a débuté à la fin janvier 2016 (1). 

Deux décisions importantes prises par la CPI ont rendu l'espoir à ceux que l'on nomme les GOR (Gbagbo Ou Rien) et plus largement à une grande majorité d'Ivoiriens qui souhaitent enfin une véritable réconciliation dans leur pays.

La première est l'acquittement inespéré, voire miraculeux, en juin 2018 du Congolais Jean-Pierre Bemba. Il avait été condamné en 2016 à 18 ans de prison et en avait déjà effectué dix.

La seconde est aussi inattendue, la Cour ayant accepté la requête aux fins de non-lieu présentée par les avocats de la défense des deux célèbres prisonniers ivoiriens.

Un troisième événement est venu renforcer cet espoir : la décision prise par le président ivoirien, Alassane Ouattara de libérer les prisonniers politiques, dont l'ancienne première dame, Simone Gbagbo. Dans tous les esprits, la sinistre page de la guerre de 2011 serait sur le point de se tourner (2). Pour tous les inconditionnels de Laurent Gbagbo, la messe est déjà dite et ils s'attendent à une libération de l'ancien président ce 1er octobre. Une grande marche est prévue à la Haye pour accueillir « leur Président » lors de sa sortie. Sauf que, l'affaire est plus complexe...  

 

Pour y voir clair…

Alors que ce procès concerne tout un peuple, la CPI s'exprime dans un langage abscons incompréhensible au commun des mortels, ce qui ouvre la voie à diverses interprétations et de nombreux malentendus. Pour tout le monde, presse comprise, cette audience du 1er octobre sera consacrée à une demande d'acquittement des deux inculpés. Or il n'en est rien. Ce n'est pas une requête en acquittement mais une requête aux fins d'un non-lieu total. En clair, l'accusé ne peut être acquitté que par un verdict intervenu à la fin d'un procès à l'issue duquel la Cour considère soit qu'il n'y a pas lieu à condamnation soit qu'il subsiste un doute. Le non-lieu, lui, est un abandon des poursuites en cours de la procédure lorsque la qualité de la preuve n'est pas suffisante pour permettre raisonnablement la poursuite du procès.

Pour rappel, la procureur fait peser quatre charges sur Laurent Gbagbo :

- avoir réprimé la manifestation du 16 décembre 2010 à l'appel de Guillaume Soro et Alassane Ouattara pour s'emparer de la Radio-télévision Ivoirienne, (RTI).

- le meurtre de sept femmes lors d'une manifestation le 3 mars 2011 à Abobo ;

- les obus tombés à Abobo le 17 mars ;

- l'attaque de Yopougon à partir du 12 avril 2011. Pour rappel, l'ancien Président a été arrêté le 11 avril 2011.

Charles Blé Goudé avait lui cinq charges, les quatre précitées plus une autre :

Une attaque menée dans la commune de Yopougon entre le 25 et le 28 février 2011.

Le 3 septembre, d'une manière assez incompréhensible, à moins d'un mois de la requête aux fins de non-lieu, l'accusation a déjà retiré deux charges à Charles Blé Goudé, celles concernant les obus tombés à Abobo et la marche des femmes du 3 mars 2011.

Pour l'accusation, ces actes auraient été commis dans le cadre d'une stratégie, pour garder le pouvoir coûte que coûte, que le Procureur qualifie de « plan commun ». Ce « plan commun » est une construction intellectuelle assez absurde qui prouve la méconnaissance de la CPI concernant les événements survenus en 2010 et 2011 et du désordre qu'il régnait dans le camp Gbagbo, qui naviguait à vue.

Tous ceux qui ont suivi ce procès savent que l'accusation n'a pas été en capacité d'apporter des preuves irréfragables pour étayer ni les charges ni le « plan commun ».

 

Que peut-il se passer ce 1er octobre ?

L'audience du premier octobre pourrait être prolongée pendant plusieurs jours. Les juges peuvent décider d'un non-lieu total, ce qui ne signifierait pas pour autant, aux yeux de la justice internationale, que les inculpés sont innocents, mais que le procureur n'a pas apporté des preuves de qualité suffisante pour poursuivre le procès. Ainsi, et dans l'absolu, le dossier pourrait être rouvert si des éléments probants étaient découverts.  En revanche, ce qui est certain, c'est que même dans le cas d'un non-lieu total, la décision des juges sera mise en délibérée, il faudra donc attendre a priori entre un et quatre mois avant de connaître le verdict. C'est seulement à ce moment-là que les prisonniers pourront recouvrer leur liberté à condition toutefois que la procureur ne fasse pas appel de la décision des juges. 

Néanmoins et à tout moment, Charles Blé Goudé et Laurent Gbagbo peuvent bénéficier d'une libération provisoire dans un pays tiers, à condition que leurs avocats respectifs déposent une demande en bonne et due forme. Ils seront alors soumis à des régles très strictes fixées par la CPI et ne pourront pas rentrer en Côte d'Ivoire tant que le verdict définitif n'aura pas été prononcé.

Les juges peuvent également décider d'un non-lieu partiel pour l'un ou l'autre des prévenus, ou les deux, le procès reprendrait alors son cours. L'auteur de ces lignes, envisage assez mal cette hypothèse. Comment reprendre le long fleuve de ce procès irrationnel et faire durer ce théâtre de l'absurde pendant encore un, deux, voire trois ans ?  

Donald Trump et John Bolton ont programmé la fin de la CPI, mais Fatou Bensouda pourrait fort bien reprendre à son compte le proverbe ivoirien « cabri mort n'a pas peur du couteau » et exécuter les engagements qu'elle a pris, depuis sept longues années, en inculpant à son tour le camp Ouattara. Des dossiers concernant le massacre du peuple Wé, notamment celui de Duékoué le 28 mars 2011, sont instruits. Mettra-t-elle ses promesses à exécution ? Pour l'instant, personne n'est en capacité de le dire. En revanche, ce qui est certain, c'est qu'une épée de Damoclès pèsent toujours au-dessus des têtes des responsables de ces crimes… 

Leslie Varenne

 

 

(1) https://www.iveris.eu/list/articles_dactualite/140-cpi__chronique_dun_desastre
(2)https://www.france24.com/fr/le-debat-france-24/20180807-800-amnisties-cote-divoire-alassane-ouattara-vers-reconciliation-nationale

Tags:
afrique de l'ouest; côte d'ivoire, cpi