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Qui est derrière les manifestations en Iran ? Qui en profite ?

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09 janvier, 2018
Note
Elijah J. Magnier


Les Iraniens sont descendus dans la rue, laissant derrière eux plus de 20 morts et des centaines d'arrestations dans différentes villes iraniennes. Ces manifestations regroupant plusieurs milliers de personnes sont considérées comme la plus grande opposition au gouvernement depuis le Mouvement vert de 2009. La grande question qui se pose est celle-ci : Qui est derrière ces manifestations et qui en profite ?

Tant les libéraux que les tenants de la ligne dure et le reste du monde ont été pris par surprise lorsque les manifestations se sont étendues à plusieurs villes juste avant la nouvelle année 2018. En fait, des milliers d'Iraniens sont descendus dans la rue quelques jours avant le rassemblement du 9 du mois de Dey, qui est organisé chaque année pour soutenir la République islamique et ses dirigeants religieux et dénoncer principalement le Mouvement vert des réformistes Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, assignés en résidence depuis.

Les leaders des tenants de la ligne dure ne voient pas l'intérêt de se mobiliser quelques jours avant d'autres manifestations prévues en leur faveur. De plus, les occasions ne manquent pas tout au long de l'année où la population est invitée à se rallier en solidarité avec la République islamique d'Iran. Ces tenants de la ligne dure contrôlent aujourd'hui les principaux services du renseignement, la sécurité, le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), le Bassidj et les principaux postes décisionnels du pays. Par conséquent, toute manifestation non contrôlée est à leur désavantage, surtout quand la foule ne suit pas des meneurs apparents se trouvant dans la rue ou en arrière-scène, comme c'est le cas jusqu'à maintenant.

Les manifestations incontrôlées vont à l'encontre de l'intérêt national et de la sécurité de l'Iran, où des takfiris (extrémistes religieux comme al-Qaeda et Daech) peuvent déstabiliser le pays tout en se mélangeant à la population. L'Iran demeure aussi sous la menace de pays voisins comme l'Arabie saoudite, qui promet de le déstabiliser de l'intérieur. Cette menace fait suite à la victoire de l'Iran et de ses alliés en Irak et en Syrie, et à son soutien aux Houthis au Yémen, qui ont empêché les Saoudiens de célébrer une victoire rapide malgré leur puissance de feu supérieure, leur siège et leur massacre aveugle de civils. Israël préfère aussi détourner l'attention de Gaza vers ce qui se passe en Iran, afin d'éloigner les regards du monde de ses propres actions en Palestine.

Le plus grand danger que les dirigeants iraniens craignent vient d'Israël et de l'administration actuelle aux USA. Il s'est manifesté surtout après le mépris déclaré publiquement par le commandant de la force Al-Qods des Gardiens de la révolution islamique, le général Tal Qassim Soleimani, qui a envoyé un message clair adjoignant les forces américaines de quitter la Syrie. Soleimani a annoncé aussi son intention de financer et d'armer les organisations palestiniennes en Palestinef dans leur lutte contre Israël et d'arrêter la mise en œuvre de la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme la capitale d'Israël.

Trump n'est pas resté les bras croisés. Depuis son arrivée au pouvoir, le président des USA tente de révoquer l'accord sur le nucléaire iranien et a menacé ses partenaires européens, qui pour la première fois ont adopté une position différente de celle des USA à l'ONU, s'ils font affaire avec l'Iran et aident la République islamique à connaître de nouveau la prospérité économique.

Maintenant que la guerre est ouverte entre l'Iran et les USA (et tous leurs alliés au Moyen-Orient), l'Arabie saoudite a exprimé sa volonté de se joindre aux efforts, conjointement avec Israël, en vue d'entraver la République islamique d'Iran et de la déstabiliser. Ce qui nous amène à la conclusion la plus plausible, à savoir que les tenants de la ligne dure en Iran, qui dirigent les Gardiens de la révolution islamique, le Bassidj et « l'Axe de la résistance », n'ont aucun intérêt à soutenir les protestations en cours qui frappent une économie fragile. Ces protestations, qui sont au détriment des tenants de la ligne dure, laissent assez de marge de manœuvre pour permettre l'organisation d'une intervention internationale et régionale visant à soutenir ceux qui sont dans la rue.

Ces contestataires iraniens qui sont aujourd'hui dans la rue comprennent des jeunes en colère poussés par leurs revendications économiques, des opposants au régime qui n'ont jamais accepté le pouvoir des dirigeants de la République islamique et des personnes qui soutiennent soit le Shah, soit les USA. Ils sont regroupés sous diverses appellations en poursuivant des objectifs différents.

Pour les libéraux, ces manifestations nuisent à l'économie iranienne, tout en pointant du doigt l'échec du gouvernement dirigé par le président Hassan Rohani. Elles font ressortir à juste titre l'incapacité du président libéral à mettre fin aux doléances consécutives au chômage, à la corruption, à la hausse des prix et aux conditions de vie difficiles héritées des gouvernements précédents. Le président libéral a été chargé en 2013 de diriger le gouvernement d'un pays en proie à de lourdes sanctions et dont les conditions économiques sont précaires.

Depuis le règne de l'ancien président Hachemi Rafsanjani (1991), aujourd'hui décédé, des manifestations, d'intensité variable, sont organisées au pays, pour revendiquer une amélioration des conditions de vie, de meilleures possibilités d'emploi et une hausse du pouvoir d'achat de la devise locale.

Cependant, l'accord sur le nucléaire sur lequel comptait le président Rohani pour obtenir des résultats positifs, qui a mobilisé toutes les ressources pour contrer les tenants de la ligne dure, mais qui a bénéficié d'un soutien aussi rare que précieux de la population et du guide suprême de la Révolution, Ali Khamenei, n'a pas porté ses fruits. Le président Trump s'est abstenu jusqu'à maintenant de libérer les 150 milliards de dollars d'actifs iraniens et refuse de rencontrer Rohani et de reconnaître ses réformes et son libéralisme.

Rohani n'est pas parvenu à garantir l'ouverture des banques iraniennes au marché international, malgré le soutien moral des nouveaux partenaires européens de l'Iran, en raison des objections des USA et de la volonté de nuire à tous les efforts des libéraux. Les banques européennes hésitent aussi à faire affaire avec l'Iran, par crainte de représailles.

La situation actuelle en ce qui a trait aux manifestations découle d'un certain nombre de tendances, réclamations et demandes. La façon dont on y répondra va déterminer si les « ennemis de l'Iran » arriveront à l'instrumentaliser à leur avantage ou non. Il y a bel et bien une crise économique en Iran, qui fait partie d'un problème mondial qui ne se limite pas qu'aux Iraniens. Ce problème frappe même les riches monarchies comme les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite, qui ont imposé de nouvelles taxes sur l'électricité, l'essence et les principaux biens et services. Le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman a même emprisonné des émirs et des hommes d'affaires saoudiens pour s'accaparer leur richesse,  de manière à : imposer sa volonté ;  garantir sa capacité de gouverner;  récupérer une partie des sommes colossales versées aux USA à des fins de « protection » et à contrebalancer une partie des milliards dépensés en Syrie et au Yémen.

Mais ces revendications socioéconomiques justifiées n'ont fait sortir dans les rues qu'une petite fraction du peuple iranien, quelques milliers. Si les tenants de la ligne dure ou les libéraux étaient derrière les protestations, ils auraient mobilisé des millions de partisans, ce qui n'est de toute évidence pas le cas ces jours-ci.

Le gouvernement réagit prudemment à l'endroit des protestataires, car les dirigeants iraniens ne veulent pas porter le chapeau de la répression tant que les protestations ne causent pas trop de dommages aux établissements du gouvernement et à la propriété publique et privée.

Cependant, la poursuite de la violence obligera probablement les libéraux et les tenants de la ligne dure à s'unir et à prendre l'initiative pour la contenir avant de causer plus de morts et de dommages. Une agitation générale dans différentes villes pourrait forcer le président libéral à prendre des mesures radicales et à abandonner son approche douce afin d'empêcher des pays étrangers de s'organiser et d'intervenir financièrement tout en soutenant des mouvements de protestation plus vaste, à l'instar de ce qui s'est produit en Syrie en 2011.

L'ironie du sort, c'est que tous ceux qui ont accusé le peuple iranien de terrorisme, y compris Trump et la grande majorité des médias institutionnels et des groupes d'intellectuels, sont devenus soudainement des grands défendeurs du peuple iranien et de leur « liberté ». Les médias sociaux regorgent de fausses nouvelles et images provenant du Bahreïn, qui sont rapportées comme des « manifestations en Iran ». Sauf qu'aucun de ces chercheurs et journalistes soudainement sensibles au sort des Iraniens ne daigne mentionner les violations des droits de la personne ayant cours au Bahreïn et le massacre quotidien perpétré par les Saoudiens au Yémen. Trump est furieux parce que l'Iran est hors de son contrôle et de sa domination, ce qui  a été le cas de tous les présidents américains depuis la République islamique de 1979 : les valeurs américaines soutiennent maintenant l'Arabie saoudite et ses « valeurs ».

Cependant, plus Trump publie des tweets à propos de l'Iran, plus il confirme la théorie de Sayyed Ali Khamenei qui, comme me l'a révélé un dirigeant iranien proche de lui, a dit au président Rohani derrière des portes closes : « Ne leur faites jamais confiance (à l'administration et aux dirigeants des USA) (…) vous pouvez aller tenter votre chance, mais n'oubliez jamais qu'ils ont été et demeureront toujours les ennemis de l'Iran et des Iraniens, de tous les Iraniens sans distinction ». C'est ainsi que l'ayatollah Ali Khamenei s'est exprimé !

Traduction Daniel G

Elijah J. Magnier est analyste des risques politiques en Europe et au Moyen-Orient depuis plus de 32 ans.