La Côte d'Ivoire face à ses démons
Note
Pour la quatrième fois en six ans, des mutins ont tenu la Côte d'Ivoire au bout de leurs kalachnikovs. Pendant quatre jours, une grande partie d'Abidjan et presque toutes les villes de l'intérieur ont été sous leur contrôle. Ce dernier accès de fièvre, n'est en réalité rien d'autre que le énième soubresaut de la guerre de 2011 qui n'en finit pas de livrer ses spasmes. Si cette guerre n'a pas produit des effets aussi visibles et délétères que celle qui a eu lieu en Libye, elle a néanmoins engendré une crise systémique qui secoue le pays à intervalles réguliers. Le Président Alassane Ouattara est un des premiers responsables de cette situation, mais il en est aussi le prisonnier. Comme en Irak en 2003, l'armée républicaine de Côte d'Ivoire a été totalement déstructurée par cette guerre. Depuis son accession au pouvoir, il est un chef sans armée, dépendant des commandants de l'ex-rébellion qui l'ont aidé à s'installer. En six ans d'exercice, il n'a pas su, pas pu ou pas voulu remédier à cette situation. Il n'a donc pas eu d'autre solution que de plier, de satisfaire les exigences des soldats insoumis et de payer les 7 millions de CFA réclamés par chacun des 8400 insurgés, quitte à sortir de cette séquence très affaibli (1). De toute évidence, il n'y avait pas d'alternative, puisque l'armée « loyaliste » ne montrait aucune velléité d'aller mater les mutins.
Les supplétifs de 2011 au coeur de la crise
Qui sont les hommes qui se sont soulevés ? Pendant la crise postélectorale, une époque où les deux Présidents se disputaient le pouvoir, le clan d'Alassane Ouattara a multiplié les appels envers les militaires pour que ces derniers rejoignent son camp. Mais, il y a eu très peu de désertions. Lorsqu'en janvier 2011, il a été décidé par les US, la France, l'ONU et Alassane Ouattara de déloger Laurent Gbagbo de la présidence par la force, Il a fallu créer une armée de toutes pièces pour combattre l'armée républicaine. Le camp Ouattara disposait déjà des soldats rebelles des Forces Nouvelles (FAFN) qui occupaient le Nord du pays depuis 2002 mais le compte n'y était pas, à peine 9000 hommes en intégrant tous les corps, armée, police, gendarmerie. Ils ont alors recruté environ 30 000 jeunes désœuvrés, quelques-uns étaient des Ivoiriens du Nord du pays mais la majorité était composée de ressortissants des Etats de la sous-région, tous musulmans. Ces recrues ont bénéficié d'une formation très sommaire de deux mois, de la fin janvier à la fin mars 2011. Cet entraînement a eu lieu à Bouaké deuxième ville du pays contrôlée, à l'époque, par les Forces Nouvelles dirigées par Guillaume Soro. Le 17 mars 2011, Alassane Ouattara signait une ordonnance et créait les FRCI (Forces Armées de Côte d'Ivoire) pour officialiser cette armée de bric et de broc composée des anciens rebelles, des nouvelles recrues et des quelques déserteurs de l'armée de Laurent Gbagbo. Pour participer à ce conflit des promesses de dons, 12 millions de CFA plus une maison, ont été faites à ces jeunes gens. A la fin de la guerre, certains ont bénéficié du programme Désarmement, Démobilisation, Réinsertion (DDR). D'autres ont été intégrés dans l'armée. Ce sont ces derniers qui ont manifesté, kalachnikov à la main. Lors de leur dernière mutinerie en janvier 2017, ils avaient obtenu un premier versement de 5 millions de CFA, le solde devant être mensualisé sur sept mois. Mais aucun argent n'était arrivé sur leur compte. Maintenant que le paiement a été effectué, il serait logique de penser que la guerre de 2011 est enfin soldée. Il n'en est rien. D'une part, il reste la maison promise ; d'autre part, tous les démobilisés à qui Alassane Ouattara avait également promis monts et merveilles pourraient également réclamer ce qu'ils pensent être leur dû. A ce groupe, il faut ajouter également les anciens rebelles des FAFN qui n'ont pas eu le privilège d'être intégrés dans l'armée. En tout, combien sont-ils exactement ? Lors d'une table ronde sur le DDR à l'Institut Français de Relations Internationales (IFRI), où intervenait le général Bruno Clément-Bollée, le nombre de 69 506 ex-combattants a été avancé (2). Ce chiffre paraît très élevé, s'il s'avérait réel, compte tenu, en prime, des quantités d'armes en circulation dans ce pays, la Côte d'Ivoire n'est pas au bout de ses peines (3)…
Le Far-West
D'autant que ce ne sont pas les seuls à pouvoir demander des primes. Après la mutinerie de janvier, les Forces spéciales avaient, elles aussi, revendiqué bruyamment et elles avaient obtenu un bonus de 17 millions CFA (4). Puis les doléances s'étaient étendues aux gendarmes, à la pénitentiaire etc. Les ex-FDS, ceux qui étaient en poste sous Laurent Gbagbo, avaient également fait valoir leur cause, mais il leur avait été répondu qu'aucune prime ne leur avait été promise, et que par conséquent, aucun montant ne leur serait versé ! Les Dozos, chasseurs traditionnels qui ont également participé au conflit dans le camp Ouattara pourraient revendiquer à leur tour...
Avant-guerre, l'armée ivoirienne, restructurée sous le Général Gueï, (1999-2000), composée d'environ 60 000 hommes, gendarmerie comprise, était républicaine, bien formée et intégrait toutes les ethnies qui composent ce pays. A la fin de la guerre, de nombreux soldats loyaux à Laurent Gbagbo ont déserté par crainte de représailles. Ceux qui sont restés ont été souvent méprisés, ils ont été placés sous les ordres des anciens commandants de zone de la rébellion qui avaient des méthodes peu orthodoxes et assez éloignées de la rigueur militaire. Ils se sont retrouvés dans des situations où des analphabètes donnaient des ordres aux Saint-Cyriens. En outre, pour ces soldats comme pour la majorité de la population, il est difficile d'admettre que ces recrues de 2011 soient récompensées sur le budget de l'Etat alors qu'ils se sont livrés à des massacres, notamment dans l'Ouest du pays, à des pillages et à de multiples exactions. Pour autant ces ex-FDS n'ont pas envie d'aller risquer leur vie pour éviter au Président Alassane Ouattara de payer une promesse qu'ils considèrent comme une dette privée. Les ex-soldats des FAFN reversés dans l'armée ne se montrent pas plus enthousiastes pour aller frapper « leurs frères du Nord ». Les ex- commandants de zone de la rébellion, devenus milliardaires, aspirent à profiter de leur vie luxueuse et n'ont pas plus envie de retourner au charbon. Quant à Guillaume Soro, l'ex-chef rebelle devenu honorable Président de l'Assemblée Nationale, il joue ses propres cartes et son avenir politique. Le camp Ouattara le surveille et le soupçonne d'avoir été plus pyromane que pompier dans l'affaire de la mutinerie. Des armes auraient été retrouvées dans la maison de la mère de son porte-parole à Bouaké. Vrai ou faux ? Que Guillaume Soro détienne des armes n'est pas un scoop. En avril 2016, le groupe d'experts de l'ONU l'avait accusé de disposer d'un arsenal impressionnant acquis en violation de l'embargo sur les armes (5). Au passage, avec cette déclaration les Nations Unies s'étaient ridiculisées, puisque ce sont elles qui étaient chargées de faire respecter cet embargo en place depuis 2002. Par ailleurs, personne ne sait ce qu'est devenu cet arsenal.
Le roi est nu
Que pourra faire le Président ivoirien si d'autres soulèvements enflamment le pays ? La poignée de fidèles sur laquelle il peut encore s'appuyer n'y suffira pas. Depuis fin 2015, il a embauché un bataillon de mercenaires, 400 à 500 Centrafricains appartenant au groupe des rebelles musulmans de la Séléka. Cantonnés à Séguéla dans le Nord du pays, ces hommes ont été rapatriés sur Abidjan dernièrement, mais là encore le compte n'y est pas. D'autant qu'un malheur n'arrivant jamais seul, la force de maintien de la paix des Nations Unies en Côte d'Ivoire (ONUCI) présente dans ce pays depuis 2002 a retiré ses soldats cette année (6). Son sous-secrétaire général, El Ghassim Wane a déclaré, sans rire, en octobre 2016 « Nous sommes aujourd'hui dans un pays en paix et réconcilié avec lui-même ». Reste l'armée française, avec les 900 hommes des Forces Françaises de Côte d'Ivoire (FFCI) qui pourront seulement sécuriser les entreprises et les ressortissants français et européens, sauf à demander, bien entendu, une résolution des Nations Unies et des renforts extérieurs.
Le poison lent…
Mais si la situation de l'armée est par la force des choses et des armes, la plus visible, un venin insidieux se diffuse souterrainement : celui de la division ethnique. Le procès de la Cour Pénale Internationale (CPI) qui ne juge qu'un seul camp, la justice des vainqueurs en Côte d'Ivoire, la politique de « rattrapage ethnique » mise en place par Alassane Ouattara commencent à produire leurs effets délétères. De part et d'autre, les positions se radicalisent, cela se sent dans les échanges avec les Ivoiriens et sur les réseaux sociaux. Les appels aux mutins ont été fait en Malinké ce qui est tout de même fort curieux pour une armée qui devrait être républicaine. Le ministre, Amadou Soumahoro, s'est lui aussi adressé à des militants du RDR, parti d'Alassane Ouattara, dans cette langue et les a harangués sur le thème « il y a dix ans, tu n'avais pas le droit de porter un boubou ou d'afficher tes convictions religieuses » (7). Plus grave encore, dans l'Ouest du pays, on assiste à un remplacement de populations. Les autochtones catholiques et animistes voient leurs plantations séquestrées par des ressortissants musulmans de la sous-région. Sans moyen de survie, les expulsés de force sont dans l'obligation de quitter leurs villages et viennent grossir les banlieues populaires surpeuplées d'Abidjan. Par ailleurs, depuis six longues années, des milliers de réfugiés croupissent toujours dans des camps au Ghana, au Libéria et au Togo. Ils ne peuvent toujours pas rentrer chez eux, leurs maisons étant le plus souvent occupées par les Maliens et les Burkinabés qui se sont dès la rebellion de 2002 lancés à la conquête des terres fertiles de l'Ouest.
Les stratégies aveugle et inconséquente des US, de la France, des Nations unies et d'Alassane Ouattara qui ont conduit à cette guerre de 2011, n'en finissent pas de produire leurs effets toxiques. Mais pour éviter d'avoir à assumer un nouvel échec retentissant après une intervention militaire désastreuse, ils continuent de soutenir un pouvoir moribond et honni par la majorité de la population. L'histoire est réécrite, les problèmes du pays sont cachés sous le tapis et masqués par un taux de croissance à deux chiffres qui, au passage, ne bénéficie qu'à un très faible pourcentage de la population. Pour autant, les maux ne disparaissent pas, au contraire ils s'aggravent au fil des années et mettent le pays en péril alors que le risque djihadiste est aux portes de la Côte d'Ivoire… C'est un stratégie de très courte vue, à court et moyen terme le soutien extérieur apporté à Alassane Ouattara s'avère parfaitement contreproductif. En prime, il nuit à l'image de la France en Afrique qui est rendue responsable de tous les malheurs ivoiriens puisque c'est son armée qui a installé le Président ivoirien au pouvoir.
Leslie Varenne
(1) Le budget de la Côte d'Ivoire est dans le rouge, suite à la gestion désastreuse de la filière café-cacao et à la chute des cours. La Lettre du Continent affirme que le Maroc aurait aidé à résoudre cette crise en apportant son aide financière. Le porte-parole du gouvernement Bruno Koné, dément et déclare « l'Etat avait la capacité de payer » https://www.eventnewstv.tv/c-i-le-gouvernement-a-propos-du-paiement-des-mutins-on-sait-trouve-les-moyens
(2) https://www.ifri.org/fr/debats/securite-cote-divoire-un-bilan-ddr
(3) https://www.facebook.com/yenewsvideo/videos/689303857937948/
(4) http://www.afrique-sur7.fr/40694/cote-divoire-mutinerie-les-forces-speciales-obtiennent-17-millions-chacun/
(6) http://www.bbc.com/afrique/region-37683306 et http://www.rfi.fr/afrique/20170217-casques-bleus-onuci-ont-quitte-cote-ivoire
(7) http://www.rfi.fr/afrique/20170217-casques-bleus-onuci-ont-quitte-cote-ivoire
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