Afrique Centrale : la poudrière
Note
Partie III
L'avenir de la République Démocratique du Congo : une question de souveraineté
A partir de ce jour, la République Démocratique du Congo entre dans une zone de turbulence, la violence et l'intensité des événements est à la mesure des attentes et des espoirs déçus. La Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) devait annoncer le 19 septembre 2016, le chronogramme de la prochaine élection présidentielle, elle ne l'a pas fait, officialisant ainsi à la fois le report du grand jour à une date ultérieure et le non-respect des délais légaux inscrits dans la Constitution. C'est à la lumière de l'histoire de ce pays, ravagé par la misère, qu'il faut mesurer la charge symbolique, l'espérance que représente, pour les Congolais, cette élection présidentielle qui aurait dû se tenir le 27 novembre 2016.
La République Démocratique du Congo (RDC) est un pays hors norme, à la fois par sa surface de 2 millions 345 km², quatre fois la France ; sa position géographique au centre de l'Afrique, délimitée par neuf frontières ; un accès à la mer et un fleuve impressionnant considéré comme l'un des plus beaux et des plus profonds du monde ; hors norme encore par l'immensité et la diversité de ses ressources minières.
Cet Etat stratégique a une autre singularité, qu'il partage néanmoins avec d'autres pays d'Afrique centrale : les Congolais n'ont jamais choisi leur Président. Il leur a toujours été imposé par ce qu'on appelle « les grands électeurs ». Dans le cas de la RDC, il s'agit des Etats-Unis et de la Belgique, ancien pays colonisateur. Ce fut le cas de Joseph Kasa-Vubu premier chef d'Etat, après l'indépendance en 1960. Il fut chassé, en 1965, par le coup d'Etat de Mobutu Sese Seko. Pendant la guerre froide, le maréchal-Président fut un rempart contre le risque communiste en Afrique subsaharienne, il recevait en contrepartie l'aide et la protection américaine. A la chute du mur, il ne présentait plus grand intérêt pour le Département d'Etat, d'autant qu'il devenait de plus en plus difficile de défendre son régime dictatorial et corrompu. Il fut détrôné militairement en 1997 par Laurent Désiré Kabila soutenu dans sa conquête de Kinshasa par ses bases arrière : le Rwanda et l'Ouganda. Cette entreprise fut, a minima, conduite avec la bénédiction de l'administration américaine sous le deuxième mandat du Président Clinton. Une fois bien installé au pouvoir et sous la pression de l'opinion publique, Laurent Désiré devient un ardent défenseur de la souveraineté de l'Etat. Il dénonce unilatéralement les promesses faites à ses alliés notamment les « accords de Lemera» [1], accords qui octroyaient une partie de l'Est du Congo à ceux qui l'avaient aidé à prendre le pouvoir. Le reniement de ce pacte déclenche la deuxième guerre du Congo et est la source de l'instabilité qui perdure depuis dans l'Est du pays. Après son assassinat, en 2001, dans des conditions qui restent toujours mystérieuses, son fils Joseph s'installe dans le fauteuil présidentiel par le truchement d'une étrange « succession héréditaire ». En 2006, Joseph Kabila remporte la première élection présidentielle du pays, dans des conditions contestées, contestables et violentes, son challenger d'alors, Jean-Pierre Bemba, s'étant également déclaré vainqueur. Joseph Kabila gagne son bras de fer avec son adversaire grâce au soutien de la Communauté internationale et réussit à se maintenir à la tête de l'Etat. Lors de l'élection présidentielle de 2011, un scénario identique se reproduit face à l'opposant historique Étienne Tshisekedi.
Un pays prêt à s'embraser
L'élection de 2016 était donc porteuse d'une grande espérance, d'autant que la Constitution ne permet pas à Joseph Kabila de se représenter pour un troisième mandat. Depuis des mois, les partis de l'opposition ont prévenu : « si la CENI ne programme pas l'élection dans les temps impartis, au plus tard le 19 septembre, nous manifesterons ». Ils avaient donc appelé leurs concitoyens à se mobiliser ce lundi. Selon le ministre de l'Intérieur congolais le bilan de cette marche s'élève à 17 morts dont 3 policiers. Cette violence n'est pas surprenante, les premiers signes de la révolte couvaient déjà depuis des jours. Plusieurs incidents ont déjà eu lieu au Katanga et dans la capitale où des militants du parti d'Etienne Tshisekedi et des activistes liés au célèbre gynécologue, le docteur Mukwege, ont été arrêtés. Un Congolais de la diaspora résume la situation actuelle : « C'est chaud bouillant ». Dans un Etat qui a connu deux guerres (1996-1997 et 1998-2003[2]) qui ont engendré six millions de victimes[3] ; dans un pays où le pouvoir a toujours été autoritaire et où le vote des citoyens n'a jamais été pris en compte, la violence, considérée comme le seul recours, est devenue un mode d'expression. Si, à cette heure, les premiers signaux sont circonscrits à la province de l'ex Katanga [4] et à Kinshasa, c'est bien tout le pays qui risque de s'enflammer. En effet, la RDC a une autre singularité, elle est un des très rares pays d'Afrique à ne plus avoir été confronté à des problèmes ethniques depuis 1968. Les vingt années de conflits à l'Est de son territoire, de haute ou basse intensité selon les périodes, les millions de morts, la souffrance endurée par la population, n'ont en rien altéré, chez les citoyens de cet Etat, le sentiment d'appartenir à la nation congolaise. C'est donc un pays uni qui affronte son Président et contrairement à des pratiques répandues dans d'autres Etats du continent, Joseph Kabila ne peut pas jouer sur les tensions ethniques, il ne peut pas diviser pour régner.
La tentation de durer…
Joseph Kabila est un taiseux. Il n'a jamais dit : « j'y suis, j'y reste. » Sur cette question là, il ne s'est curieusement jamais exprimé. Il a laissé son entourage et sa Majorité Présidentielle multiplier les manœuvres et les arguties juridiques afin de trouver un moyen de repousser aux calendes grecques l'échéance du 19 décembre 2016, date de la fin constitutionnelle de son mandat. Et ils ont tout essayé… En janvier 2015, la Majorité Présidentielle a tenté de faire voter une loi selon laquelle un recensement de la population était un préalable à l'élection présidentielle. Dans un pays de 80 millions d'habitants, aussi étendu et sans infrastructure, ce recensement [4] aurait pu prolonger son mandat de cinq ans ! Mais la mobilisation de la population fut telle que le pouvoir renonça à son projet. L'inertie de la « communauté internationale » lors des précédents tours de passe-passe constitutionnels de ses voisins burundais, rwandais et congolais de Brazzaville avait donné des idées au pouvoir de Kinshasa et l'autorisait à espérer une modification des textes afin de permettre un troisième mandat[6]. Mais une fois encore, l'opération a échoué. La seule réussite obtenue par les partisans de Joseph Kabila est la décision, du 11 mai 2016, de la Cour constitutionnelle qui a autorisé le Président à rester à son poste au-delà de la fin de son mandat dans le cas où l'élection présidentielle ne pourrait avoir lieu dans les délais impartis[v]. Cette décision a été prise suite à une demande de la Majorité Présidentielle. Nombreux sont les députés qui ont tout intérêt à ce que l'élection présidentielle soit repoussée afin que les législatives le soient aussi. En RDC, la corruption gangrène la vie politique dans des proportions incommensurables. Une majorité de parlementaires ont laissé leurs administrés dans la misère et le dénuement et se sont contentés de pratiquer « la politique du ventre ». Ils savent qu'ils ne seront pas reconduits et eux aussi ont la tentation de durer [7]. C'est à l'aune de cette « politique du ventre » qu'il faut lire toutes les tractations et les manigances de cour qui ont lieu actuellement. La Majorité Présidentielle a initié un dialogue avec l'opposition. Un facilitateur, le Togolais Edem Kodjo, a été nommé par l'Union Africaine. Les deux plus grands partis d'opposition, le MLC de Jean-Pierre Bemba et l'UDPS d'Etienne Tshisekedi, ont, eux, refusé de s'assoir à la table des négociations. Moïse Katumbi, candidat déclaré à l'élection et ancien gouverneur de la province du Katanga, a également refusé la main tendue de son ex-ami Joseph Kabila. Ce dialogue, aux multiples épisodes, qui fait la Une des journaux kinois depuis des mois, n'est pas parvenu à accoucher d'une quelconque solution. Mais, à quelques jours du 19 septembre, le miracle aurait eu lieu et une sortie de crise aurait été trouvée : la création d'un gouvernement d'union nationale qui comprendrait la Majorité Présidentielle et la seule opposition participant au dialogue emmenée par le Président de l'UNC, Vital Kamerhe.
Il n'est pas certain que cette énième manœuvre ait plus de chance de réussir que les autres et qu'elle ait raison de la volonté de changement et de la colère du peuple congolais.
Les « grands électeurs »
Cela fait de longs mois que les Etats-Unis sont très préoccupés par la situation en RDC. Le 16 septembre, John Kirby, porte-parole du Département d'Etat déclarait dans un communiqué : « Les Etats-Unis appellent toutes les parties à rejeter la violence et toute rhétorique incendiaire pendant cette période et tiendra pour responsable toute personne qui appellera à la violence, commettra des violences ou incitera à la violence. Nous sommes prêts à imposer des sanctions additionnelles ciblées contre de tels individus ». En juin dernier, les US avaient déjà gelé les avoirs du chef de la police de Kinshasa, le Général Célestin Kanyama, accusé d'être impliqué dans des violences contre les civils. Alors que l'étau se resserre, les Américains surveillent les événements comme le lait sur le feu. Des Marines en uniforme s'entraînent ostensiblement dans les rues de la capitale en jouant au foot avec des enfants et ces images sont ensuite postées sur YouTube. L'adresse à l'endroit de Joseph Kabila paraît claire. Il est également clair que le Président du Congo a perdu le soutien des « grands électeurs ». Louis Michel, ancien Commissaire européen et ex ministre des Affaires étrangères de Belgique, très impliqué en RDC, a été un de ses plus ardents défenseurs. Il l'a « parrainé » depuis son arrivée au pouvoir en 2001, et malgré une gouvernance catastrophique, il déclarait toujours à la veille des élections de 2011 « Joseph Kabila est l'espoir du Congo ». Mais en février 2015, le ton avait changé : devant le Parlement européen, Louis Michel dénonçait, en des termes peu amènes, le gouvernement de RDC, les violations des droits de l'homme et les arrestations arbitraires. Si l'Union européenne n'est pas encore passée au stade des sanctions, elle partage l'inquiétude des Etats-Unis et suit la ligne américaine dans ce dossier, comme dans beaucoup d'autres. Joseph Kabila est atteint du syndrome Mobutu, bien que comme lui, il ait rendu de bons et loyaux services, il n'est plus défendable. L'homme fort de Kinshasa n'est plus compatible avec l'image de la démocratie, des droits de l'homme et de la bonne gouvernance vantée par la « communauté internationale ».
Quant à la France, si l'entente était bonne sous Nicolas Sarkozy, les mauvaises relations entre François Hollande et son homologue sont notoires. Lors du Sommet de la francophonie qui s'est tenu à Kinshasa en 2012, le Président français a refusé de serrer la main à Joseph Kabila.
La fermeté affichée de l'Occident rassure les Congolais et l'opposition. En revanche, chaque fois qu'une puissance étrangère ou qu'une institution rappelle le gouvernement congolais à l'ordre, la Majorité Présidentielle n'a pas de mots assez durs pour dénoncer les ingérences extérieures et les atteintes à la souveraineté de l'Etat¨. En employant les termes « ingérence » et « souveraineté » à longueur de déclarations, les partisans de Joseph Kabila savent qu'ils tapent au cœur des Congolais. Mais, compte tenu de la manière dont Joseph Kabila a pu se maintenir au pouvoir pendant 15 ans, ces discours peuvent apparaître comme de simples postures.
Les acteurs régionaux
La deuxième guerre du Congo, appelée aussi la « première guerre mondiale africaine », a été sanglante et a impliqué tous les Etats de la région. Le Rwanda, l'Ouganda et le Burundi ont attaqué la RDC, qui, elle, a trouvé des appuis militaires notamment auprès de l'Angola, du Zimbabwe, de la Tanzanie, de la Libye et du Tchad. Officiellement ce conflit a pris fin en 2003, néanmoins 60 groupes armés, liés, pour la plus grande partie, à Kigali et Kampala continuent d'entretenir les braises en commettant massacres, exactions et pillages de minerais dans l'Est de la RDC. L'instrumentalisation des événements actuels par le Rwanda et l'Ouganda n'est pas à exclure. Cette analyse est partagée par d'excellents spécialistes de la RDC. Ainsi, dans une longue prospective des scénarios envisageables dans un avenir proche, Jean-Jacques Wondo écrit : «(Si) des troubles politiques plongent la RDC dans une instabilité politique et sécuritaire insurmontable, les pays voisins, particulièrement le Rwanda et l'Ouganda, en profitent pour envahir l'Est de la RDC et le réoccuper comme entre 1996 et 2002 ; l'objectif étant de récupérer les terroirs riches en ressources minières et agropastorales conquis et occupés lors de la guerre de 1996 -1997. Le Rwanda et l'Ouganda seraient ainsi tentés de consolider leur emprise sur ces territoires de façon durable, mettant le pouvoir de Kinshasa devant un fait accompli : à savoir, la perte effective du contrôle des territoires de l'Est occupé. » De son côté, un groupe d'étude, Congo Research, analyse : « La flambée actuelle des violences dans l'Est, dont pourraient paradoxalement se servir l'Ouganda et le Rwanda pour revenir de plein pied sur le théâtre congolais, avec tout le risque d'encourager le schéma de l'état d'urgence, viendrait malheureusement confirmer l'absence d'une dynamique régionale de sortie de crise ou, en revanche, l'existence d'une dynamique régionale dont l'objectif serait plutôt de nourrir le pourrissement afin d'éviter le réveil d'un géant, dont le leadership naturel pourrait porter ombrage à certaines puissances régionales. »
Car c'est bien là tout le problème : Yoweri Museveni et Paul Kagamé n'ont aucun intérêt à voir arriver un Président prêt à défendre ses frontières et la souveraineté de son pays. Une des raisons de l'immense impopularité de Joseph Kabila, outre la mauvaise gouvernance et la misère qui rongent la RDC, est sa supposée connivence avec les agresseurs de l'Est du pays. En effet, à maintes reprises, l'armée congolaise (FARCD) a été mise à l'index pour son inaction coupable vis-à-vis des populations civiles de l'Est du Congo, notamment dans la localité de Beni où depuis 2014 des assaillants venus de l'Ouganda mais aussi du Rwanda tuent les habitants à l'arme blanche[8].
Dans l'hypothèse d'un chaos, l'autre puissance régionale qui pourrait s'impliquer est l'Angola. Son armée avait joué un rôle déterminant contre le Rwanda et l'Ouganda, lors de la deuxième guerre du Congo. Quant au Président du Zimbabwe, Robert Mugabe, et celui du Congo Brazzaville, Sassou Nguesso, ils semblent, tous deux, trop fragilisés actuellement dans leur propre pays et sur la scène internationale pour pouvoir agir d'une quelconque manière. L'Afrique du Sud, elle, soutient Joseph Kabila; cette puissance continentale n'a pas intérêt à perdre ses nombreux intérêts miniers en RDC.
L'opposition
Qui pourrait remplacer Joseph Kabila ? Le sort de Jean-Pierre Bemba, Président du MLC est scellé, puisqu'il est emprisonné à la Cour Pénale Internationale (CPI) depuis 2008. Ses militants espéraient une remise en liberté avant l'élection présidentielle, mais, leur Président a été opportunément condamné à 18 ans de prison en mai 2016. Même si ses avocats ont fait appel, il n'a aucune chance d'être libéré dans un avenir proche. Il est intéressant de noter que, malgré tous les crimes contre l'humanité perpétrés en RDC, Jean-Pierre Bemba a été condamné pour des faits commis par ses troupes en République Centrafricaine. Le sort du patriarche Etienne Tshisekedi paraît également réglé. Agé, malade, il semble difficilement envisageable de le voir endosser un poste de responsabilité, même si la voix de son parti continue de compter dans le paysage politique. Quant à Vital Kamerhé, Président de l'UNC, il a pris le risque de se mettre hors jeu en acceptant un gouvernement d'union nationale qui, s'il était mis en place, violerait la Constitution en prolongeant, de facto, le mandat de Joseph Kabila.
Reste deux personnalités : le docteur Denis Mukwege et Moïse Katumbi.
Le célèbre gynécologue, qui répare les femmes violées, a vécu une période d'hypermédiatisation et a reçu une avalanche de prix et de décorations : légion d'honneur, prix du « héros de l'Afrique » remis par le Parlement européen, prix Sakharov, prix de la fondation Clinton etc. Son nom a été également cité pour le prix Nobel de la paix. Ce concert de louanges joué dans toutes les capitales occidentales laissait à penser que les chancelleries misaient sur son avenir politique, même si lui ne s'est jamais exprimé sur ce point. Mais étrangement depuis quelques mois, son nom ne fait plus la Une.
Moïse Katumbi, ex-cacique du camp présidentiel, a été un des fidèles soutiens de Joseph Kabila de la première heure en 2001, jusqu'à la rupture très médiatisée en septembre 2015. A la même date, il a démissionné de son poste de gouverneur du Katanga. En mai 2016, il annonçait sa candidature à l'élection présidentielle : au même moment il était poursuivi et inculpé pour atteinte à la sûreté de l'Etat, soupçonné d'avoir recruté des mercenaires étrangers, notamment américains. Arguant d'une blessure à la tête après une manifestation, il a été autorisé, par le procureur de Lubumbashi, à quitter le pays pour aller se faire soigner à l'étranger. En juin de la même année, il a été à nouveau condamné, mais cette fois par contumace à 36 mois de prison pour une sombre affaire d'immobilier. Moïse Katumbi se retrouve donc dans une situation délicate : il a annoncé son retour au pays, mais il risque d'être incarcéré dès son arrivée sur le sol congolais. En attendant de pouvoir rentrer chez lui, l'ancien gouverneur du Katanga, qui connaît l'histoire du Congo, fait la tournée des « grands électeurs », en France, en Belgique, aux Etats-Unis. Dans un pays où l'argent est le nerf de la guerre en politique, le grand atout de Moïse Katumbi est son immense fortune, bâtie dans le commerce et dans les mines. Très populaire dans son fief de Lubumbashi où ses partisans sont plus des fans de son club de foot le TP Mazembe que des militants politiques, il manque de légitimité populaire sur l'ensemble de la RDC et compte tenu de son alliance avec Joseph Kabila pendant de nombreuses années, beaucoup de Congolais voient en lui « un changement dans la continuité… »
Conclusion
Kabila père et fils cumulent 19 ans de pouvoir et la République Démocratique du Congo autant d'années de guerre dans ses provinces de l'Est. Malgré ses immenses richesses minières, la diversité de sa faune et sa flore classées juste derrière celle de l'Amazonie, la République Démocratique du Congo, ce « poumon de l'Afrique », est un Etat à terre. Santé, éducation, infrastructures, gouvernance tout est à construire ou à reconstruire. Mais le chantier le plus titanesque à accomplir sera, sans aucun doute, celui de la refonte de l'armée. En effet, tout au long de ces vingt années de guerre, la RDC n'a cessé de négocier avec les multiples groupes armés qui l'attaquaient et ces négociations se terminent immanquablement par des programmes de « Démobilisation et réintégration » pour ces combattants. Au final, ces programmes, soutenus par les principaux bailleurs de fonds, se sont révélés être un puissant outil d'infiltration de l'armée congolaise par des étrangers, principalement des Rwandais. Et ce sont ces militaires, officiers et généraux qui sont envoyés pour protéger les populations civiles dans l'Est du pays, avec les piètres résultats, hélas connus de tous. En outre, l'armée congolaise (FARCD) est dans un tel état, qu'elle est dans l'incapacité d'assurer la sécurité du pays sans la mission des Nations Unies en RDC : la Monusco, présente depuis 1999. Le budget de cette opération s'élève à 1,5 milliard de dollars par an principalement financé par les Etats-Unis. Une somme considérable qui pourrait être affectée à d'autres besoins essentiels pour la population. Lorsqu'en mai dernier, l'IVERIS avait rencontré un élu de Beni, il avait abordé longuement la question des groupes armés qui sévissent dans sa région et la complicité des FARCD, puis il avait conclu l'entretien par une phrase lapidaire : « le problème est complexe mais la solution est simple »: laisser les citoyens choisir leur Président. Lorsqu'ils réclament un chef de l'Etat 100% congolais, ce n'est pas par xénophobie mais parce qu'ils sont fatigués, usés par vingt ans de massacres et d'ingérences extérieures.
Les multinationales sont souvent taxées d'être responsables des principaux maux de ce pays. En réalité, les grands groupes pillent le pays en profitant de l'absence d'industrie pour prendre la partie active du minerai sans produire de valeur ajoutée en le transformant sur place. Le prix, 2% ou 3% qu'ils reversent à l'Etat, est également très faible. Pour autant, le rôle de ces multinationales dans la guerre à l'Est relève du fantasme. Au contraire, le chaos existant oblige les entreprises minières à payer très cher les expatriés et les milices privées qui assurent leur sécurité. Le second pillage est orchestré par des groupes armés qui revendent le minerai à l'Ouganda, au Burundi et au Rwanda. Ce dernier pays est d'ailleurs exportateur d'or et de coltan alors qu'il n'en produit pas. Ce pillage des ressources renvoie encore à la question sécuritaire qui relève des droits régaliens d'un Etat.
Que la RDC s'enflamme et c'est toute l'Afrique qui souffrira des blessures de ce géant. Avec ces 80 millions d'habitants, elle risque d'exporter des millions de réfugiés. D'abord vers les pays limitrophes comme l'Angola et le Congo Brazzaville déjà touché par une grave crise économique intérieure. Mais l'Europe, où le problème migratoire est devenu un enjeu politique majeur, pourrait également être touchée. Que la RDC brûle et c'est toute l'Afrique centrale qui sera déstabilisée, alors que cette région est déjà dans une situation politique et économique désespérante. Tout le continent subira les conséquences d'un nouveau tsunami dans ce pays qui a déjà connu des millions de morts.
Il est évidemment difficile de prédire l'évolution de la situation dans les jours, les semaines ou les mois à venir. Compte tenu des forces en présence, seul le respect de la Constitution, avec le départ annoncé de Joseph Kabila le 19 décembre et l'assurance d'une élection présidentielle à venir, pourrait redonner confiance à la population congolaise et ramener le calme...
Leslie Varenne
[1] Les Accords de Lemera n'ont jamais été reconnus par les protagonistes. Pour autant, ces accords font l'objet d'une importante littérature et reviennent invariablement dans toute discussion politique avec les Congolais.
[2] La première a eu lieu de fin 1996 au 17 mai 1997, date de la chute de Mobutu et de l'arrivée au pouvoir de Laurent Désiré Kabila. La seconde appelée « la guerre mondiale africaine » s'est déroulée de 1998 et a pris fin officiellement en 2003.
[3] Récemment une polémique a fait jour sur le nombre réel de morts. L'auteur de ces lignes considère cette question déplacée et reprend le chiffre communément admis par les auteurs congolais, comme Patrick M'Beko.
[4]En 2015, le Katanga a été divisé en quatre nouvelles provinces : Tanganyika, Haut-Lomami, Lualaba et Haut-Katanga.
[5] Le dernier recensement a eu lieu sous la Présidence du Maréchal Mobutu en 1987.
[6] Le Président Ougandais Yoweri Museveni au pouvoir depuis 1986 a été réélu en février 2016 pour un cinquième mandat lors d'une parodie d'élection mais comme son homologue tchadien, Idriss Deby, il avait pris les devants et avait modifié la Constitution pour pouvoir se représenter dès 2005. Les Présidents du Burundi, du Rwanda et du Congo Brazzaville ont tous trois modifié leur Constitution respective au cours de l'année 2015.
[7] En RDC, il existe 418 partis politiques dont seulement 10% siègent à l'Assemblée Nationale. La plupart de ces partis sont appelés "les partis mallettes" !
[8] Sur ce sujet, lire l'excellent rapport du groupe d'étude sur le Congo, Congo research, intitulé : "Qui sont les tueurs de Beni ?"
afrique, rdc