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Paroles armées, de Philippe-Joseph Salazar

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18 octobre, 2015
Note de lecture
Leslie Varenne


Philippe-Joseph Salazar est rhétoricien et philosophe. Son dernier livre est bouleversant dans le sens littéral du terme. En effet, cet ouvrage nous oblige à repenser notre représentation de l'organisation de l'Etat islamique. Dans cet essai, l'auteur dissèque minutieusement toute la documentation, les écrits, les paroles, la communication visuelle de ce qu'il nomme, lui, le Califat. Il décrypte la puissance de l'argumentation et la persuasion de masse auxquelles se livrent les djihadistes. Car, pour combattre la propagande terroriste, il faut la comprendre. 

Pour l'auteur, face à la rhétorique du Califat, les sarcasmes et les moqueries sont inutiles, dérisoires et contreproductifs, il note : « Il existe une logique à l'œuvre dans le discours califal qui est en décalage par rapport à ce que nous considérons comme logique, raisonnable, persuasif en politique. Une logique d'un autre ordre, une logique qui nous apparaît donc comme perverse ou délirante ; mais il s'agit d'une logique qui possède, outre la profession de foi et sa force évocatoire poétique, une rigueur dialectique. »

La prise de pouvoir par la parole et la force des symboles

Dans son essai, l'auteur cite de nombreux exemples pour étayer son propos. Il rappelle, par exemple, de quelle manière Al Baghdadi restaura le califat, le 4 juillet 2014. A-t-il choisi le jour anniversaire de l'indépendance américaine par hasard ? « Celui qui assume le califat, vêtu de noir,  comme un moine bénédictin ou un pope grec, monte lentement les marches menant à la chaire du prédicateur. Rien de théâtral, aucune mise en scène, aucun effet de manche. Au contraire, une dignité de port et un naturel dans le maintien qui évoquent immédiatement ceux-là même du Prophète selon la tradition des dits et gestes. L'effet rhétorique de cette apparition est magistral, c'est le premier temps d'une stratégie d'action symbolique : un homme devient calife. » Il ne faut donc pas sous-estimer la puissance idéologique et symbolique de ces organisations.

Une guerre planétaire

Les djihadistes livrent une guerre de communication planétaire et contrairement aux idées reçues, leurs publications sont nombreuses et la rhétorique en est particulièrement travaillée et habile. Si leur magazine en anglais Dabiq est le plus connu, il en existe d'autres en plusieurs langues, turc, allemand, français (Dar Al-Islam) et le contenu diffère selon les publics auxquels ils s'adressent. Philippe-Joseph Salazar rappelle que nous sommes en face d'une : « guerre hyper moderne par les moyens mais très antique dans son contenu qui a pris possession de notre horizon mental et parasite notre langue et nos discours. » Et il ajoute : « Il faut en finir avec la rhétorique à sensation des médias et des politiciens de profession et nommer le phénomène avec justesse, un califat et ses acteurs soldats ou partisans et ses actions guerre et guérilla. »  Le rhétoricien interroge, pourquoi ne pas utiliser le terme de « traîtres » face à ces Français qui combattent leur pays ?

La bévue de la communication gouvernementale

Philippe-Joseph Salazar a décrypté, seconde par seconde, la vidéo officielle du gouvernement intitulée « Stop-djihadisme » ; ce passage particulièrement pertinent démontre à quel point les autorités françaises sont indigentes face à ce phénomène et combien leur réponse est inefficace et stérile. La principale raison, selon l'auteur, est leur : « refus d'envisager le djihadisme autrement que comme une pathologie d'imbéciles. » Or le Califat, lu à travers ses magazines ou ses vidéos, cible : « justement des jeunes intelligents et éduqués, bénéficiant d'un bon capital culturel et matériel. » Et l'auteur de se demander : « Sommes nous devenus idiots ? ». La parole de Philippe-Joseph Salazar est une arme…

Philippe-Joseph Salazar est ancien directeur de programme au Collège international de philosophie. Depuis 1995, il enseigne la rhétorique à l'université du Cap en Afrique du Sud.

 

 

Tags:
etat islamique